Les mesures de sûreté : la peine au-delà de la peine

, par Aline Beilin

La proposition de loi (PPL) visant à instaurer des mesures de sûreté contre les auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine fait débat Déposée en mars 2020 par des parlementaires de la majorité, la PPL a été votée au Sénat le 21 juillet 2020 après avoir été adoptée à l’Assemblée nationale le 21 juin 2020 en première lecture. Elle a été votée par les députés le 27 juillet 2020.
Quelques éléments d’explication...
En droit pénal, on distingue deux types de sanction : la peine et les mesures de sûreté.

  • La peine est la sanction pénale infligée à l’auteur de l’infraction par une juridiction de jugement (le tribunal) parce qu’il a contrevenu à la loi.
  • Les mesures de sûreté sont destinées à prévenir la commission d’une nouvelle infraction et à protéger la société d’un danger potentiel : elles sont donc préventives.

Dans les faits, il arrive que les mesures de sûreté se présentent comme une peine. Ainsi tel individu qui, sous l’emprise d’un état alcoolique, a commis des violences volontaires sur une personne, en état de récidive, peut être enjoint, au-delà de la peine principale de rétention, à se soigner, au moyen de la mesure de sûreté de l’obligation de soin.

Avec la proposition de loi en discussion, il s’agit de prononcer à l’encontre d’auteurs d’infractions terroristes des mesures de sûreté ayant pour effet de maintenir une mesure de coercition, privative de liberté, au delà de la peine. Autrement dit, la personne qui a été effecuée une peine de rétention (délictuelle ou criminelle) ne sort pas de prison libre de ses mouvements, libre de circuler. Ce sont donc des mesures préventives, restrictives de libertés et de droit, que l’on justifie par la dangeurosité de l’individu.

  • Ces mesures pourraient être : l’obligation de répondre aux convocations du juge d’application des peines, d’établir sa résidence en un lieu déterminé, d’obtenir une autorisation avant tout changement d’emploi ou de résidence ainsi que pour tout déplacement à l’étranger, l’obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie, l’interdiction d’entrer en relation avec certaines personnes ou de paraître dans certains lieux, le placement sous surveillance électronique mobile avec le consentement de l’intéressé.
  • Elles seraient décidé par le tribunal de l’application des peines.

Pour comprendre le contenu, la procédure d’élaboration de la loi, consulter le site de l’Assemblée nationale et du Sénat

A l’évidence cela pose problème. Au nom de quoi peut-on limiter la liberté de manière préventive ? Quel équilibre trouver entre la sécurité, l’ordre public et la liberté et la sécurité juridique du justiciable ?

Rappelons qu’il s’agit d’une singularité de la matière territorisme, que l’infraction puisse n’avoir été que pensée, prévue, organisée à l’avance, pour être déjà constituée. La préparation des actes terroristes est une infraction, même si l’attentat n’a pas lieu.
Cependant, les auteurs des infractions terroristes dont il est question dans la loi auront effectué leur peine. Et rien de dit qu’ils penseront, prévoiront ou organiseront à l’avenir des actes susceptibles de constituer une infraction.

La rétention de sûreté existe déjà, mais elle n’est utilisée que rarement, pour des personnes dont la dangerosité résulte d’un trouble grave de leur personnalité , trouble médicalement constatée. Comment ici attester et objectiver la persistance d’une intention terroriste ? C’est une des questions principales qui se posent.

C’est d’ailleurs un des points soulevés par le Conseil d’Etat, consulté pour avis. L’avis du Conseil d’Etat, rendu le 11 juin 2020, contient des éléments de réflexion très intéressants. A lire ici.

Le Conseil national des barreaux, représentatif des avocats, a pris position contre ces mesures de sûreté, dénonçant le "principe d’une peine après la peine" Lire le communiqué du CNB du15 juin 2020.
Eric Dupont-Moretti, avant d’être nommé Garde des Sceaux, s’opposait vigoureusement à la rétention de sûreté, en utilisant volontiers cet argument. Verbatim : « J’étais totalement opposé à la rétention de sûreté, parce qu’on imputait pas à un homme ce qu’il avait fait, mais ce qu’il allait faire. » [1]

Aujourd’hui, Eric Dupont-Moretti, devenu Garde des Sceaux, explique qu’il défende aujourd’hui la loi en débat au motif que le port du bracelet électronique n’est pas une mesure privative de liberté.
Sur cette vidéo disponible sur le site de l’Assemblée Nationale, EDM, ministre de la justice, défend cette loi comme un "progrès" : il y rappelle qu’un juge judiciaire (le juge de l’application des peines spécialisé en matière terroriste) pourra décider de la mise en oeuvre de ces mesures de sûreté, au terme d’un débat contradictoire.
Rappelons pourtant que le bracelet électronique est une mise sous écrou, que la peine de placement sous placement électronique est une peine privative de liberté, en droit.
Le président de l’Assemblée nationale a saisi le Conseil constitutionnel pour avis sur ce texte.

Notes

[1Extrait de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)