Violation par la France de la CEDH pour avoir condamné une militante Femen pour exhibition sexuelle.

, par Valérie Marchand

Les juges ont estimé que sa protestation seins nus dans une église au sujet de l’avortement relève du "débat public sur les droits des femmes".

Les faits : Le 20 décembre 2013, Eloïse Bouton se rend dans l’église de la Madeleine à Paris, en dehors de tout office religieux, « en se présentant devant l’autel, la poitrine dénudée et le corps couvert de slogans », rappelle la CEDH.
Puis elle « mima, à l’aide d’un morceau de foie-de-bœuf, un avortement. Sa performance fut brève et elle quitta les lieux à l’invitation du maître de chapelle présent. Cette action fut médiatisée, une dizaine de journalistes étant présents ». Après une plainte du curé de la paroisse, elle fut condamnée à un mois de prison avec sursis, peine confirmée en appel et en cassation.

Les juges de la Cour EDH ont rappelé tout d’abord qu’une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique ou d’intérêt général n’est compatible avec la liberté d’expression […] que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple, la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence. En l’espèce, l’action de la requérante […] avait pour seul objectif de contribuer au débat public sur les droits des femmes ».

Lire l’analyse que fait Roseline Letteron de cet arrêt de la Cour EDH sur son blog : "Femen : L’expression par l’exhibition"


A lire sur le même thème, l’article de Roseline Letteron (Comment rhabiller une Femen ? , à propos de l’arrêt rendu le 26 février 2020 par la Cour de cassation.

Mme Z. Y. s’était présentée dans la salle rassemblant les statues de cire de plusieurs chefs d’Etat du musée Grévin, et avait dénudé sa poitrine, laissant apparaître l’inscription "Kill Putin" ; elle avait ensuite fait tomber la statue du président russe, dans laquelle elle a planté un pieu métallique en déclarant "Fuck Dictator". Mme Z. Y. s’était prévalue de son appartenance au mouvement Femen pour affirmer que son geste avait une finalité de protestation politique.

 En octobre 2014, elle a été condamnée par le tribunal correctionnel de Paris, pour dégradation volontaire du bien d’autrui et exhibition sexuelle.
 La Cour d’appel de Paris, le 12 janvier 2017, a confirmé l’amende de 600 € infligée à Mme Z.Y. pour le dommage causé à la statue de V. Poutine.
En revanche, elle a relaxé l’intéressée du chef d’exhibition sexuelle.
Pour la Cour, le délit d’exhibition sexuelle ne saurait être constitué "en dehors de tout élément intentionnel de nature sexuelle". Il n’y a donc pas lieu de condamner Mme Z. Y. pour"l’utilisation de sa poitrine dénudée (...) à des fins de manifestation d’une expression en dehors de toute connotation sexuelle". La cour d’appel a estimé que l’intention de la Femen, dénuée de toute connotation sexuelle, devait être appréciée comme la manifestation d’une opinion
politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

 Pourvoi en cassation

La Cour de cassation, dans sa décision du 10 janvier 2018, avait rappelé que les motifs de l’exhibition ne constituent pas un élément constitutif de l’infraction.

Il y a donc eu cassation et renvoi à la Cour d’Appel, qui a rendu une décision identique à celle de 2017, suscitant un nouveau pourvoi.

 La décision de la cour de cassation du 26 février 2020
Pour les juges, les faits demeurent constitutifs du délit d’exhibition
sexuelle, mais l’incrimination est considérée comme "une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression".
La Cour confirme la relaxe prononcée par la Cour d’appel, adoptant ainsi une position radicalement différente de celle adoptée en janvier 2018, même si elle maintient qu’il y a bien eu exhibition sexuelle.
La Cour de cassation a préféré ne pas prendre le risque d’une condamnation par la Cour EDH.
La décision du 26 février 2020 permettait ainsi d’éviter une saisine de la CEDH ....qui aurait donné lieu à une condamnation de la France, comme cela a été le cas le 13 octobre.

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