Aider un migrant en situation irrégulière, est-ce une infraction ? Pierre-Alain Mannoni a été jugé mercredi 23 septembre en appel par la Cour d’appel de Lyon. Il est accusé d’avoir fait passer en France trois migrantes blessées. légalement, il s’agit d’un acte d’aide à l’entrée d’un étranger sur le territoire national.
Le « délit de solidarité » n’est pas un terme juridique. Néanmoins, il permet de poser clairement le problème politique, philosophique ici en jeu.
- Les faits sont les suivants. En octobre 2016, Pierre-Alain Mannoni, professeur d’université spécialiste en écologie marine, est interpellé au péage de La Turbie (Alpes-Maritimes) : dans sa voiture la police trouve trois femmes d’origine erythréennes. Pierre-Alain Mannoni déclare qu’il souhaite transporter ces femmes blessées jusqu’à la gare de Cagnes-sur-Mer, après les avoir hébergées une nuit, pour qu’elles puissent se faire soigner à Marseille.
- Eclaircissements sur la procédure...
Pierre-Alain Mannoni a été relaxé en première instance à Nice en janvier 2017. Mais le parquet a fait appel et Pierre-Alain Mannoni a été condamné en appel à Aix-en-Provence quelques mois plus tard. Entre temps, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision du 6 juillet 2018, consacrant le principe de fraternité. C’est en effet pour trancher sur cette affaire, et sur celle mettant en cause Cédric Herrou, que la Cour de cassation a transmis deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel, lequel a fait du principe de fraternité un principe constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2018. C’est pourquoi le cas de Pierre-Alain Mannoni a été réexaminé et rejugé par une cour d’appel, en l’occurence la cour d’appel de Lyon.
- Sur quel fondement légal punir ou relaxer de tels faits ? [1]
Le parquet peut arguer qu’il est question ici d’une aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière et non d’une aide à la circulation ou au séjour d’un étranger. La décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 ne peut donc être invoquée ici.
Mais si l’acte est illégal, comme l’a souligné l’avocat général [2] (« Il a très bien compris quelles étaient les limites de la loi et il a fait un choix : la transgresser », a -t-il dit dans son réquisitoire)l, il peut à l’évidence être considéré comme légitime : "C’était la chose à faire, vis-à-vis de ce que je suis, des autres, pour mes enfants », a expliqué le mis en cause à l’audience. Pour plaider la relaxe, on peut se fonder notamment sur le 3ème alinéa de l’article 622-4 qui stipule que l’on ne peut punir " toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte"
Voir nos articles Que recouvre "le délit de solidarité" ? et Aide aux sans-papiers : principe de fraternité versus délit de solidarité