Conditions de détention : un arrêt important de la Cour de cassation

, par Aline Beilin

La Cour de cassation a rendu le 8 juillet 2020 un arrêt important concernant la situation des détenus : la Cour y précise en effet que le juge doit ordonner la libération d’un détenu si les conditions de détention sont indignes.

  • La Cour de cassation se prononçait à la suite de multiples condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en raison des conditions indignes en détention. La CEDH reprochait aussi à la France le fait que les détenus ne disposent d’aucun moyen de recours pour faire reconnaitre l’indignité des conditions de détention. En effet la CEDH a rendu le 20 janvier 2020 une décision condamnant la France sur le fondement des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme . L’article 3 dispose que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Quant à l’article 13, il stipule que « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. ».
    La CEDH avait été saisie par de 32 requérants incarcérés dans divers établissements pénitentiaires en France. La décision de la CEDH (JMB c. France, requête n° 9671/15 et 31 autres) peut être lue ici].
  • La Cour de cassation, rompant avec sa jurisprudence traditionnelle, permet donc aux détenus d’en appeler au juge judiciaire, afin qu’il tire les conséquences de conditions de détention qui seraient contraires aux droits de l’homme.
    Si la CEDH enjoint l’Etat français de prendre des mesures législatives pour se conformer à cette décision, la Cour de cassation reconnait au juge judiciaire, en l’occurrence le juge de l’application des peines, le droit et le devoir de veiller à la dignité des conditions de détention. Elle précise donc : « par la décision du 8 juillet 2020, la chambre criminelle procède à un infléchissement sérieux de sa jurisprudence antérieure puisque, dorénavant, des conditions indignes de détention sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de cette détention. »
    Le juge (de l’application des peines) peut alors ordonner la sortie de prison sous contrôle judiciaire ou prononcer une assignation à résidence avec un bracelet électronique.
    L’arrêt fait jurisprudence. Il est donc décisif pour les juges de l’application des peines et pour tous ceux qui prennent part à la chaine pénale.

Lire le communiqué, l’arrêt, la QPC et la notice explicative sur le site de la Cour de cassation.

  • Amélie Morineau, avocate et présidente de l’Association pour la défense des droits des détenus, [1] a répondu le 6 aout 2020 aux questions du journal Le Monde. Elle regrette que la jurisprudence du 8 juillet ne soit pas encore suivie d’effet : « plusieurs avocats ont plaidé sur ce terrain sans résultat. Selon l’arrêt la Cour de cassation, il faut démontrer que l’indignité provient de conditions de détention « actuelles et personnelles ». Or, les constats établis par exemple par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne sont rendus publics que deux ans après la visite d’un établissement. On ne désespère pas de faire appliquer un jour cette jurisprudence. »
  • L’avocate revient par ailleurs sur la situation des détenus en prison depuis le confinement et le déconfinement. Son premier message concernant les mesures d’aménagement de peine en raison de l’urgence sanitaire est que ces libérations anticipées, qui ont permis de revenir à un taux d’occupation des lieux de détention inférieur à 100 %, n’ont pas entrainé une hausse de la récidive : « La bonne nouvelle, qui mérite d’être soulignée, est que cela s’est fait sans que le monde s’effondre. Sans observer de hausse spectaculaire de la délinquance ni avoir des informations du ministère de la justice sur des cas de récidive de personnes fraîchement libérées ». [2]

Pour autant ce taux cache des situations très disparates, et les magistrats qui avaient veillé durant le confinement à chercher des peines alternatives à la prison auraient repris, selon l’avocate, leurs habitudes anciennes trop aisément.

  • De plus, les conditions de détention peuvent demeurer indignes alors que les détenus sont seuls dans une cellule. En effet, précise Amélie Morineau, « l’absence de travail – ou son niveau de rémunération –, le manque de moyens des services de réinsertion, l’état des sanitaires, l’éloignement de certains établissements par rapport aux moyens de transports décourageant la visite des familles, tout cela participe des conditions de détention. »

Notes

[1L’association regroupe une centaine d’avocats pénalistes, spécialisés dans la question de l’application des peines.

[2Voir nos épisodes "Covid-19. La détention ou le confinement dans le confinement.

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