Les salariés des dépôts et les raffineries de TotalEnergies sont en grève. Le gouvernement réagit en décidant de la réquisition de personnel. Les syndicats, notamment la CGT, y voit là une atteinte au droit de grève. Ils ont porté l’affaire devant des tribunaux administratifs. Droit de grève vs droit des consommateurs ?
Le droit de grève, défini comme "la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles [1]", est un droit à valeur constitutionnelle. Il est inscrit dans le préambule de la constitution de 1946, à l’alinéa 7 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. »
La réquisition de salariés du service public est possible. Mais l’est-elle lorsqu’il s’agit d’entreprises privées ? Le gouvernement opère par le moyen d’arrêtés préfectoraux qui réquisitionnent les personnels "indispensables au fonctionnement des raffineries".
En droit, il existe deux textes qui encadrent le recours à la réquisition.
- L’article L 1111-2 du code de la défense définit la possibilité pour l’exécutif de mobiliser des biens et des personnes, dans des conditions bien précises, à savoir « en cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population »
- l’article L2215-1 du code général des collectivités territoriales.
La CGT conteste la légalité des réquisitions ; le syndicat a saisi des tribunaux administratifs à Rouen ou à Lille, en référé (procédure d’urgence.
- Le tribunal administratif de Rouen, qui devait statuer sur la réquisition des personnels de la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme, près du Havre, a estimé d’une part que la requête de la CGT n’était pas recevable, et d’autre part, sur le fond, que la réquisition était nécessaire "pour prévenir les atteintes à l’ordre public."
- Le tribunal administratif de Lille a rejeté lui-aussi la requête en référé-liberté déposée par la CGT qui contestait la légalité de personnels du dépôt TotalEnergies de Mardyck, près de Dunkerque.
A chaque fois jusqu’ici le juge administratif a estimé que les réquisitions ne portaient pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève.
Un collectif d’avocats et de professionnels du droit a signé une tribune dans le journal Libération daté du 17 octobre 2022. Parmi ces avocats, des figures du barreau parmi lesquels William Bourdon ou Arié Alimi. La tribune rappelle que ces dispositions (dont l’une est inscrite d’ailleurs dans le code de la défense) ont été adoptées et prorogées par le pouvoir exécutif dans des situations de crise extrême, de danger pour la nation (la crise des Sudètes en 1938, le contexte de la guerre d’Algérie). Or la situation que nous vivons n’est pas la guerre et ne requiert pas des moyens de guerre, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit de grève. Extraits : "Aujourd’hui, ce n’est plus dans le cadre d’une guerre ni d’une catastrophe naturelle ou industrielle que la réquisition est employée, mais dans celui d’un conflit social entraînant nécessairement des conséquences sur les transports dépendants du carburant fossile qu’est le pétrole. L’atteinte qui est ainsi faite au droit de grève de ces salarié·e·s grévistes n’est donc ni nécessaire ni proportionnée à un but légitime."
La CGT voit là une décision prise pour des motifs plus politiques que juridiques.
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