- Lien vers le Protocole n° 16 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
- Lire le communiqué de presse du Conseil d’ État
- Lire la décision du Conseil d’ Etat du 15 avril :
- La demande d’avis consultatif doit donc servir à arbitrer entre les droits des chasseurs d’une part et ceux des propriétaires privés d’autre part qui veulent soustraire leur propriété à cette activité. Est en jeu la loi Verdeille du 10 juillet 1964 qui dispose que les propriétaires de terrains dont la superficie est inférieure à vingt hectares, doivent adhérer à une association de chasse agréée (ACCA).
- Ces associations, régies par la loi du 1er juillet 1901 sont obligatoires dans vingt-neuf départements et facultatives dans les autres. Lorsqu’elles sont facultatives, il faut pour qu’elles soient créées, qu’une demande d’au moins 60 % des propriétaires représentant 60 % des terrains situés sur le territoire de la commune soit déposée. La création de l’association signifie que tous les chasseurs membres de l’ACCA ont le droit de chasser sur l’ensemble du territoire de l’association, mais perdent l’exclusivité du droit de chasse sur le terrain dont ils sont propriétaires.
Pour ses partisans , la loi Verdeille garantit le caractère démocratique de la chasse qui n’est pas réservée aux seuls propriétaires de terrains, et de plus elle permet aux chasseurs de disposer d’une une zone de chasse plus étendue.
- Pour mieux comprendre la saisine de la CEDH par le Conseil d’ Etat
– Lire l’analyse que fait Roseline Letteron sur son blog "Libertés, libertés Chéries dans un article intitulé Les chasseurs dans le viseur du Conseil d’État
Extrait : "La loi Verdeille s’analyse comme une sorte d’anomalie juridique, dérogeant à des principes très solidement ancrés dans le droit. La liberté d’association tout d’abord fait l’objet d’une restriction, puisque les propriétaires des terrains d’une superficie inférieure à vingt hectares sont tenus d’adhérer à l’ACCA. Or, la liberté d’association implique le droit d’adhérer, ou de ne pas adhérer à une association, principe confirmé par la Cour européenne elle même dans son arrêt du 30 juin 1993, Sigurjonsson c. Islande. Le droit de propriété ensuite est atteint dans son essence même, dans la mesure où les propriétaires contraints d’adhérer à une ACCA ne sont plus entièrement libres d’affecter leur bien à l’usage de leur choix. ".
– Dans sa décision Chassagnou et autres c. France ( 29 avril 1999 ) la CDEH avait estimé qu’il y avait eu violation de l’article 11 de la Convention et l’article 1 du Protocole n°1 et donc atteintes à la liberté d’association et au droit de propriété.
Concernant la violation de l’article 11, la cour a estimé que :
"Contraindre de par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l’obliger, du fait de cette adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l’association en question réalise des objectifs qu’il désapprouve va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi."
– Suite à cette décision de la CEDH, a été votée la loi du 26 juillet 2000 qui disposait que les terrains dont les propriétaires ont clairement manifesté leur opposition à la chasse par conviction personnelle ne seront pas intégrés dans le territoire de l’association, quelle que soit leur superficie et reconnaissait donc un droit de refuser la chasse lié aux convictions en la matière des propriétaires des terrains.
– Le lobby de la chasse a aussitôt réagi et suite aux actions de la Fédération nationale de la chasse a été votée loi du 24 juillet 2019 "portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations de chasseurs et renforçant la police de l’environnement". Selon Roseline Letteron, "la police de l’environnement dont il est question vise surtout à limiter les conséquences de la loi du 5 juillet 2000 et de la clause de conscience qu’elle offrait aux propriétaires. Si le retrait d’un propriétaire qui possède un terrain supérieur à 20 hectares demeure possible, il devient beaucoup plus difficile à des petits propriétaires de se réunir en association mettant en commun leur territoire pour précisément se retirer de l’ACCA. La loi précise en effet que ce recours au mode associatif ne peut exister que lorsque l’association a été créée antérieurement à l’ACCA, c’est-à-dire jamais. Cette disposition, en apparence anodine, permet ainsi de vider de son contenu la loi de 2000. "
- Outre la question d’une violation du droit de propriété consacré par l’article 1 du Protocole n°1 -puisque le propriétaire d’un terrain ne peut en user à sa guise- se trouve aujourd’hui posée, suite aux dispositions de la loi du 24 juillet 2019 , - complétées par le décret, aujourd’hui contesté, du 23 décembre 2019, - la question d’une atteinte au principe de non- discrimination ( c’est à dire d’une violation de l’article 14 de la convention). Le retrait des terrains du territoire de l’ACCA après la création de celle-ci est permis à un propriétaire individuel qui possède un terrain suffisamment grand. En revanche, depuis la loi du 24 juillet 2019, ce droit de retrait n’est ouvert à une association de plusieurs propriétaires mettant en commun leurs territoires que lorsque l’existence de l’association était reconnue lors de la création de l’ACCA.
Pour juger de la légalité du décret d’application de la loi du 24 juillet 2019 contesté devant lui, le Conseil d’État doit donc déterminer si cette différence de traitement, selon que l’association existait ou non à la date de création de l’ACCA, respecte le droit au respect des biens et l’interdiction des discriminations garantis par la convention EDH. C’est sur ce point qu’il a sollicité l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement du protocole n° 16.
Reste donc à attendre l’avis de la Cour EDH , qui choisira peut-être de réaffirmer sa jurisprudence Chassagnou c. France....