Liberté d’expression vs liberté d’association ? Les libertés fondamentales à l’épreuve du terrorisme

, par Aline Beilin

De la nécessité de distinguer les poursuites judiciaires, la justice administrative, et les réactions politiques nourries d’intérêts électoralistes et de communication. Lorsqu’il est question de restreindre la liberté d’expression — pour laquelle, rappelons-le, sont morts les dessinateurs de Charlie Hebdo ou Samuel Paty — il faut toujours se demander si cette restriction est légitime, utile et nécessaire. C’est le rôle des cours suprêmes que sont le Conseil d’Etat, le Conseil consitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’Europe que de contrôler cela.

  • Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé qu’il allait proposer au conseil des ministre la fermeture d’associations soupçonnées de soutenir peu ou prou l’islamiste radical, notamment le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) et Barakacty, organisation humanitaire. La mosquée de Pantin a été fermée lundi 19 octobre au soir.
  • Ces décisions ne relèvent pas de l’institution judiciaire mais du pouvoir exécutif. Pour que ces interdictions et fermetures administratives soient légales,plusieurs conditions doivent être réunies. La fermeture doit être décidée en Conseil des ministres qui prend alors un décret de dissolution, sur le fondement de l’article 212-1 du Code de sécurité intérieure. Celui-ci précise les motifs qui peuvent justifier une telle dissolution :
    « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :
    1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
    2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
    3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;
    4° Ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;
    5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ;
    6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;
    7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger
    . »

Par ailleurs, il est évident que si ces associations se livrent à des actes qui relèvent d’infractions définies dans le code pénal, elles peuvent être poursuivies, sur le fondement d’incriminations comme l’apologie de crimes terroristes, l’incitation au terrorisme, ou encore le financement d’entreprises terroristes. La question devient donc : faut-il créer de nouvelles infractions, modifier le code pénal par la loi, ou bien notre arsenal juridique suffit-il à punir les auteurs d’infraction, à condition que les poursuites aient lieu.
Si la dissolution est prononcée en lien avec l’assassinat de Samuel Paty, il faut que ce lien soit établi.

  • Le contrôle du caractère proportionnalité et donc légitime de ces mesures privatives de libertés fondamentales est exercé par le Conseil d’Etat. En 2016, le Conseil d’ Etat a ainsi validé, après examen minutieux des éléments du dossier, une interdiction décidée par décretpar le pouvoir exécutif (le président de la République François Hollande ici) interdisant l’association « Fraternité musulmane Sanâbil (Les Epis) ». Lire la décision sur le site du Conseil d’Etat ici. Le Conseil d’Etat aura sans doute à connaitre de la proportionnalité et de la légalité des mesures de fermeture souhaitées par le gouvernement.
  • Rappelons que laloi du 1er juillet 1901 consacre une des libertés fondamentales : la liberté d’association. Elle incarne des libertés posées dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Dans sa décision du 16 juillet 1971, dite liberté d’association, le Conseil constitutionnel a réaffirmé l’importance de cette liberté : « Considérant qu’au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association... » . L’histoire de cette loi de 1901 est reprise ici. Le décret du 16 aout 1901 définit le droit des associations.
  • Michel Toubiana, au nom de la Ligue des Droits de l’homme, a réagi en interrogeant : sur quels éléments précis le gouvernement se fonde-t-il pour demander cette interdiction ? Il met en garde contre une réaction guidée par le seul souci de montrer aux électeurs français que le gouvernement réagit de manière ferme, en dehors de tout fondement en l’espèce.
  • Eric Dupont-Moretti, ministre de la justice, a affirmé sur France Inter mardi 20 au matin : "actuellement, le droit ne permet pas autre chose que de poursuivre pour injure publique, il faut réfléchir à un changement". Une des pistes envisagées est d’augmenter le nombre de magistrats dédiés aux poursuites des contenus faisant l’apologie du terrorisme sur Internet, des contenus haineux, etc
    Verbatim : "A titre personnel, je suis contre l’anonymat sur les réseaux sociaux. Mais il y a aussi une liberté d’expression consacrée notamment par la Cour européenne des droits de l’homme".

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)