Vol au quai Branly. La question de la restitution des oeuvres d’art en question et en procès

, par Aline Beilin, Valérie Marchand

Ce sont des militants d’une cause : la cause de la restitution des oeuvres d’art du patrimoine africain. Cinq de ces militants, dont Emery Mwazulu Diyabanza, congolais, ont comparu ce 30 septembre devant la 10ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Un procès politique, mémoriel, qui interroge la place du droit dans une question beaucoup plus ample. Faut-il restituer les oeuvres d’art du patrimoine culturel africain ? Comment faire droit à la volonté de se réapproprier un patrimoine devenu, du fait de la domination coloniale, un patrimoine "national" ? Est-ce au juge judiciaire qu’il revient de trancher sur cette question ?

Les faits : le 12 juin 2020, les personnes, aujourd’hui mises en cause, ont saisi une oeuvre d’art — un poteau funéraire tchadien — pour le restituer aux peuples spoliés de leur patrimoine en raison, directe ou indirecte, de la colonisation. L’action a été filmée par les protagonistes eux-mêmes, et diffusée sur la page facebook de l’association "Unité, dignité, courage" à laquelle appartiennent tous les militants.

Les faits incriminés relèvent en eux-mêmes du délit de « tentative de vol en réunion d’un objet mobilier classé », puni de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. D’un point de vue purement légal, il s’agit d’un bien appartenant au patrimoine national, inaliénable. Mais c’est précisément la légitimité de cette propriété qui fait problème ici.

Mais les arguments des militants sont politiques, au sens large de terme. Il s’agit bien d’une cause et non d’une volonté personnelle d’appropriation. Ces militants, et notamment Emery Mwazulu Diyabanza, sont partisans de la "restitution directe" : ils arguent des atermoiements et de la lenteur des processus de restitution, qui supposent le plus souvent le vote d’une loi ad hoc, pour justifier de leurs actes. De fait, il ne s’agissait pas ici de voler l’oeuvre, mais plutôt d’alerter sur la dépossession des oeuvres d’art du patrimoine africain : « il nous fallait un espace public et politique, un environnement panafricain, pour mener nos discussions. Ce musée, c’était l’Afrique en miniature, on s’y sentait bien, chez nous, alors on a eu envie de mener cette action. », a dit Emery Mwazulu Diyabanza au procès (propos rapportés par le journal le Monde daté du 1er octobre 2020).

En un mot, s’agit-il d’un acte politique ou d’un vol avec dégradation ? Peut-on justifier de l’illégalité d’un acte en l’inscrivant dans une cause politique ? Le juge n’est -il pas ici appelé à trancher une question plus politique que juridique ?

Lire l’article du New York Times du 30 septembre 2020

Lire aussi un article du Monde, sur l’actualité de la question de la restitution des oeuvres d’art.

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