Ecouter un avocat met-il à mal les droits de la défense ?

, par Aline Beilin

Le journal Le point a révélé que le parquet national financier (PNF) a demandé la consultation des "fadettes" (relevés des appels) de nombreux avocats, dont des grands noms du barreau de Paris. Le PNF cherchait à savoir qui avait informé l’ancien président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient écoutés. Les avocats ont vivement réagi. Voir notamment quelques unes de ces réactions dans cet article du Monde. Selon eux, les moyens sont disproportionnés et attentatoires aux droits de la défense. Ecouter aussi ici

L’occasion de revenir sur une question délicate : un avocat peut-il être placé sur écoute dans le cadre de sa mission de conseil et de défense du justiciable ?

Un avocat est soumis au secret professionnel. Il recueille la parole de ses clients, et le secret professionnel est une condition nécessaire à l’établissement d’un lien de confiance entre le mis en cause et son conseil. Pour autant, certaines informations peuvent être essentielles à la poursuite de l’enquête.
Peut-on légitimement écouter un avocat ? Notions d’abord que deux cas peuvent se présenter : la consultation des écoutes du mis en cause, où il peut à l’occasion avoir échangé avec son avocat, et le placement sur écoute de l’avocat lui-même.

Pour autant, les conversations que le conseil a avec ses clients sont-elles couvertes par un secret professionnel absolu ? Auquel cas personne, pas même un magistrat, ne serait légitime pour écouter les communications entre l’avocat et son client. Mais qu’en est-il quand le juge présume que l’avocat a participé à des faits constitutifs d’une infraction, dans l’exercice de son conseil ? N’est-il pas alors légitime que le juge d’instruction puisse consulter les transcriptions de ces échanges ?
Mettre sur écoute un avocat constitue-t-il une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, au sens de l’article 8 de la Convention européenn des droits de l’homme ?

En France, la jurisprudence et la loi ont retenu à la fois le secret professionnel et la possibilité d’une mise sur écoute d’un avocat, à des conditions très encadrées et très précises toutefois. L’interception de communications privées doit se faire dans le cadre d’une procédure pénale, qui poursuit un but légitime.
Ainsi le bâtonnier [1] doit toujours être informé de cette mise sur écoute, comme en dispose l’article 100-7 du Code de procédure pénale : « aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé ». (Lire ici). Notons que la consultation des fadettes ne requièrent pas que la bâtonnier soit averti.

Les communications entre l’avocat et son client, surprises lors d’une procédure d’instruction, ne peuvent donc être transcrites et versées au dossier que sices échanges laissent présumer que l’avocat a participé à l’infraction, donc de manière tout à fait exceptionnel. L’article 100-5 du même Code de procédure pénale stipule qu’« à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense ». La jurisprudence est allée en ce sens ( voir notamment Ccrim, 15 juin 2016 - à lire ici)

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’arrêt Versini-Campinchi c.France du 16 juin 2016 (voir doc joint) a confirmé cette jurisprudence. Un article publié sur le site Liberté, libertés chéries faisait le point sur cette question.

On peut réécouter avec intérêt cette émission d’"A votre avis, maître", sur azur TV, réalisée en 2015 à l’occasion de l’émoi suscité par le fait que l’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, avait été écouté. A écouter ici

Plus récemment le juge Renaud Van Ruybeke, à la retraite depuis l’été 2019, a pris position contre cette pratique, alors même qu’il s’est heurté, dans de nombreuses affaires politico-financières, à des difficultés d’investigation, à l’exception là encore de l’avocat qui commet une infraction. Verbatim, extrait d’un entretien donné à Dalloz Actualités le 2 juillet 2020 : « Jamais il ne me serait venu à l’idée de me faire communiquer des fadettes d’avocats. Ce n’est pas ma conception du travail du juge.
L’analyse des fadettes, qui plus est par la police, porte incontestablement atteinte au secret professionnel car elle permet de connaître tous les contacts de l’avocat, qu’ils soient ou non ses clients. C’est un domaine réservé. Ce secret protège l’avocat bien sûr, mais il protège aussi le client. C’est un droit fondamental. La seule limite, c’est la commission d’une infraction par l’avocat ». (voir le reste de l’entretien ici)

Notes

[1Le bâtonnier, dans chaque ressort, c’est-à-dire dans chacun des 164 tribunaux judiciaires, est élu pour deux ans parmi ses pairs pour représenter les avocats et le conseil de l’ordre des avocats. Il veille à la déontologie des avocats, résoud d’éventuels litiges entre avocats, et représente les avocats auprès des magistrats du ressort.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)