La liberté d’expression de l’artiste est-elle plus grande que celle du citoyen ? Doit-elle être absolue ?

, par Aline Beilin

Le parquet de Paris a donc ouvert une information judiciaire pour "provocation à la haine raciale" et "injure à caractère raciste". De quoi relancer le débat sur la question des limites de la liberté artistique. L’Etat est-il fondé à limiter la liberté artistique ? Ce qui limite la liberté d’expression dans le débat public doit-il aussi limiter la liberté artistique ? La limite de la création artistique ne relève-t-elle pas d’une censure ? Mais en revanche peut-on accorder à l’artiste une liberté que l’on ne reconnaît pas au citoyen lambda ? La liberté artistique est-elle absolue ?
Lire l’article du Monde

  • La Licra avait lancé une alerte sur la teneur des paroles du rapeur Freeze Corleone, notamment dans son dernier album LMF (« La menace fantôme »), dont l’introduction est titrée Freeze Raël. Le ministre de l’intérieur et le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) Frédéric Potier ont réagi en promettant des suites judiciaires.
    Lire le communiqué de la Licra [1]. On peut notamment y entendre son président mettre en cause la société de production de disques de Freeze Corleone. Avec 5,2 millions d’écoute sur Spotify en 24 h, les enjeux économiques sont très présents.
  • Universal France a annoncé qu’il cessait de produire le rapeur : la société de production qui, peut-on en déduire, n’avait pas écouté les paroles, déclare vouloir défendre "les valeurs de tolérance et de respect" : elle annonce donc dans un communiqué "mettre un terme à toute collaboration avec cet artiste".
  • L’incitation à la haine raciale, quand elle est publique, est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ainsi en dispose l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse de 1881.
    L’injure publique à caractère raciste est punie de la même peine, comme le stipule l’article 33 de la même loi sur la liberté de la presse.
  • Pourtant, en 2016, le législateur a souhaité réaffirmer la liberté de création artistique dans une loi spécifique, la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine du 7 juillet 2016. Son article 1 dispose que la création est libre.
    D’un certain point de vue, la liberté de création peut être assimilée à la liberté d’expression. En ce sens, tous les textes constitutionnels qui garantissent la liberté d’expression garantissent, dans le même mouvement, la liberté d’artistique. De plus, cette liberté peut aussi être conçue comme une expression d’un droit à la culture.
  • Cependant, la liberté d’expression a des limites. L’apologie de crimes contre l’humanité, le délit de négationnisme, l’injure publique à caractère raciste ou l’incitation à la haine raciale sont des limites à la liberté d’expression, inscrits dans la loi du 1881 sur la liberté de la presse.
  • Si tout le monde s’accorde à reconnaître une grande maîtrise technique à Freeze Corleone, la présence de textes nauséabonds, racistes et antisémites ne fait pas non plus débat (« tous les jours RAF de la Shoah », RAF pour Rien à foutre). L’histoire du rap et du hip-hop est jalonné de procès (Orelsan, Damso, Sexion d’assaut), qui assurent incidemment aux interprètes une publicité très efficace. Le compte twitter de Freeze Corleone atteste de la maîtrise de ce porte-voix qu’est l’action judiciaire. D’un autre coté, l’empressement à condamner peut aussi être aussi empreint d’intentions politiques. D’aucuns remarquent que les chansons de Michel Sardou, dont les paroles ont notamment des relents sexistes, n’ont jamais fait l’objet de poursuites judiciaires (cet article de Ouest France s’en fait l’écho)

Notes

[1Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme

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