Le gouvernement a considérablement étendu le champ des délits susceptibles d’être punis d’une peine d’amende forfaitaire. Les amendes forfaitaires délictuelles (AFD) concernaient 11 délits (conduite sans permis, usage de drogue...) : elles concerneront désormais 57 infractions délictuelles. Cette modification est un des aspects de la loi Lopmi présentée par G.Darmanin, adoptée le 14 décembre 2022 en procédure accélérée, et promulguée le 24 janvier 2023, après avis du Conseil constitutionnel. Le principe est que le règlement d’une peine d’amende éteint l’action publique : le refus de la régler ouvre donc la voie de recours.
- La possibilité de punir d’une peine d’amende forfaitaire un délit, et non une contravention, a été ouverte par la loi du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice. Auparavant, c’était impossible. Peu à peu l’AFD a été étendue aux délits de conduite sans permis, vente d’alcool aux mineurs, usage de stupéfiants, occupation en réunion des halls d’immeubles par exemple.
Désormais, la vente à la sauvette,la filouterie de carburant, le tags, l’intrusion dans un établissement scolaire, atteintes à la circulation des trains, striking ou fait d’entrer sur un terrain de sport sont passibles d’une AFD.
- Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette disposition et conclut dans sa décision : « Le recours à une amende forfaitaire délictuelle pour sanctionner certains délits, l’instauration d’un montant minimum de peine d’amende et les conditions de sa contestation devant le juge, ne méconnaissent pas les principes de séparation des pouvoirs et d’égalité devant la justice. ». Lire la décision ici
- Mais le Conseil d’Etat avait estimé dans son avis que la volonté initiale de l’exécutif, à savoir étendre à 3400 délits la possibilité de pénaliser au moyen d’une peine d’amende forfaitaire délictuelle, méconnaissait le principe d’égalité devant la justice. Il mettait en garde contre le risque d’arbitraire, puisqu’il revient alors aux agents verbalisateurs d’estimer la gravité et la matérialité des faits. Il conclut : « Les considérations qui précèdent conduisent le Conseil d’Etat à ne pas retenir l’article relatif à la généralisation de la procédure d’amende forfaitaire délictuelle qui, selon lui, méconnaît le principe d’égalité devant la justice et est entaché d’incompétence négative. »
Le site du Sénat précise que les députés de gauche y ont vu une atteinte aux droits de la défense. Les députés qui ont saisi le Conseil constitutionnel ont développé plusieurs arguments en ce sens. On peut retrouver leurs arguments dans la décision du Conseil constitutionnel
- « La procédure de l’amende forfaitaire délictuelle permet aux services de police de décider de l’application d’une sanction pénale sans en référer à l’autorité judiciaire et d’apprécier la culpabilité des personnes mises en cause sur le fondement de la seule constatation matérielle des faits. Il en résulterait une méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs, du droit à la liberté et à la sûreté garanti par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et de la présomption d’innocence. »
- « la contestation de l’amende forfaitaire délictuelle serait entravée par des délais trop brefs, l’obligation de consigner au préalable une somme équivalente à son montant et l’absence de notification de l’intégralité du procès-verbal de constat du délit. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. (Ils considèrent par ailleurs que) en ne permettant au juge que de relaxer la personne mise en cause ou de prononcer une amende au moins égale à celle de l’amende forfaitaire, ces dispositions porteraient atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ».
- les dispositions méconnaissent « les principes d’individualisation des peines et d’égalité devant la loi en étendant l’application de l’amende forfaitaire délictuelle à certains délits présentant ( selon eux) une faible gravité. »
- « l’amende forfaitaire délictuelle au fait d’entraver ou de gêner la circulation et au fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement scolaire, les dispositions méconnaîtraient le droit de manifester et la liberté d’expression. »
Lire l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui s’oppose à cette extension et y voit une atteinte aux droits fondamentaux.