De la nécessité de prouver le mobile ségrégationniste pour caractériser l’injure raciale

, par Aline Beilin

Dans cette affaire qui date de 2015, le directeur de l’établissement pénitentiaire de Guyane a porté plainte contre les gardiens de la prison du syndicat Force Ouvrière pour l’avoir, dans le cadre d’un conflit qui les opposait au directeur de la prison, mis en scène en personnage raciste et néo-colonialiste.
Dans cette manifestation de juin 2015, on pouvait lire, sur des draps : « non à la négrophobie », « Oui au code civil, non au code noir », « ici vous êtes sur les terres du gouverneur Mayol, préparez-vous à fructifier le travail de votre maître ». Les agents, pour dénoncer ce qui relevait selon eux du racisme et du néo-colonialisme du directeur, avaient joué une scène en reprenant les paroles tenues par le directeur : on y voyait un agent déguisé en colon fouetter un autre agent déguisé en esclave, et disant : « c’est l’administration qui te nourrit ».

Le directeur (M.V dans la procédure) porte plainte le 15 juin 2015 et en 2016 il se constitue partie civile pour injures raciales et dénonciation calomnieuse.

Deux agents avaient été mis en examen pour injures raciales et renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Guyane, sur le fondement des articles 29 et 33 de la Loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Celui-ci a relaxé les prévenus dans un jugement du 1er février 2018.
Le procureur de la République a relevé appel de ce jugement.
En deuxième instance, la relaxe a à nouveau été prononcée. Le parquet se pourvoit en cassation.

L’argument juridique de la partie civile (le moyen) est le suivant : les agents ont présenté le directeur de la prison comme héritier du colonialisme. Extrait de l’arrêt : "c’est parce qu’il est blanc et en position de supérieur hiérarchique que M. [V] a été injurié, comme représentant du maître humiliant son esclave ; qu’en faisant le choix de cette mise en scène, en voulant rappeler l’esclavagisme et la traite négrière, les prévenus ont choisi de se placer sur le champ de l’opposition des races ce que confirment les inscriptions figurant sur les draps, qui renvoient à l’époque des colonisations pré-abolitionnistes pendant laquelle le racisme d’Etat était institué et opposait les blancs dominateurs aux noirs asservis".

Dans cet arrêt du 19 octobre 2021, la chambre criminelle rejette le pourvoi. Elle confirme donc la relaxe du fait d’injures raciales. La chambre criminelle de la Cour de cassation retient que si des propos injurieux ont bien été prononcés, d’une part ils n’ont été adressés qu’à la personne du directeur, de manière nominative, et que d’autre part ils n’ont pas de caractère racial : les injures "s’adressent de manière nominative et donc personnelle à M. [V], dirigeant de type européen certes, mais en considération de sa qualité de dirigeant aux méthodes de gestion critiquables selon les manifestants et, d’autre part, d’une attaque publique et ciblée, dans le cadre d’un conflit du travail, ôtant tout caractère raciste à ces injures."

C’est donc en qualité de dirigeant, et non pour des raisons ethniques ou raciales, que le directeur a été injurié. Autrement dit, l’intention ségrégationniste, raciste doit être caractérisée pour que la qualification d’injures raciales soit retenue.

Lire l’arrêt sur le site de la Cour de cassation ici

Voir cet article de 2015 sur le climat qui règnait alors dans cet établissement pénitentiaire et le conflit entre la direction et les agents, représentés au sein du syndicat Force ouvrière.

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