Les limites à la liberté d’expression des artistes

, par Valérie Marchand

La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 octobre, casse la relaxe prononcée par la Cour d’appel à l’égard d’Alain S., responsable du site sur lequel avait été diffusé, début 2019, un clip intitulé "Le rap des gilets jaunes" interprété par le groupe "Rude Goy Bit".

Les paroles "ce n’est qu’en virant les Rothschild qu’on pourra sauver la France" étaient accompagnées d’une image avec le nom Rothschild et de la photo de Patrick Drahi en train de brûler. Ces images étaient poursuivies pour provocation à la haine envers la communauté juive.
L’injure à caractère aggravé concernait les paroles "Les Français n’en peuvent plus de ces parasites", et les paroles "les banques ont acheté les médias pour asseoir leur emprise", toujours illustrées par le nom de Rothschild en train de brûler , étaient, quant à elles poursuivies pour diffamation à caractère aggravé.

Alain. S.avait été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de deux ans d’emprisonnement, dont six avec sursis, ainsi qu’à 210 heures de travaux d’intérêt général. Mais la Cour d’appel de Paris avait prononcé une relaxe en décembre 2020, ainsi motivée : la Banque Rothschild était mentionnée parce qu’elle a été l’employeur du Président de la République, le rap stigmatisait également des personnalités non juives comme Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, et Emmanuel Macron.

La cour d’Appel, pour rendre sa décision, s’était inspirée de l’arrêt rendu le 11 décembre 2018 relatif à la chanson "Nique la France" interprétée en 2010 par le groupe ZEP. La cour de cassation avait alors estimé qu’aussi "outranciers, injustes ou vulgaires qu’ils puissent être regardés", de tels propos cherchent à dénoncer le racisme prêté à la société française, et "s’inscrivent à ce titre dans le contexte d’un débat d’intérêt général" [1].

En cassant la relaxe prononcée par la Cour d’appel, la cour de cassation a précisé , selon Roseline Letteron "l’étendue de son contrôle sur des propos sanctionnés pour injure, diffamation et provocation à la haine envers une personne ou un groupe de personnes à raison "de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou religion déterminée". Elle rappelle que la liberté d’expression des artistes, même engagés, ne saurait aller jusqu’à l’appel à la discrimination, à la haine ou à la violence.

Notes

[1La notion de débat d’intérêt général trouve son origine dans la jurisprudence de la CEDH : elle permet de faire prévaloir la liberté d’expression sur le droit au respect de la vie privée, et peut être invoquée pour écarter des poursuites pour injure ou diffamation.

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