Des cours d’assises sans jurés : un progrès ?

, par Aline Beilin

La création de cours criminelles départementales a été décidée pour pallier les difficultés spécifiques rencontrées dans les jugements criminels : délais d’audiencement trop longs, qualité des débats, etc. Le ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, propose dans la loi pour la confiance en l’institution judiciaire la généralisation des cours criminelles départementales. Un point sur la question.

Le dossier législatif peut être consulté ici
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  • La cour criminelle départementale a été mise en place en mars 2020, à titre expérimental, dans un certain nombre de départements pour remplacer la cour d’assises classique — un jury populaire composé des 3 magistrats professionnels et de 6 jurés citoyens en première instance — dans des cas déterminés : il s’agit de juger des personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion, lorsque l’état de récidive légale n’est pas retenu. Autrement dit essentiellement les viols, les coups mortels, les vols à main armée, le proxénétisme aggravé, l’esclavagisme. Voir notre article
    La cour criminelle départementale est composée de cinq magistrats professionnels. Deux d’entre eux peuvent être magistrats honoraires (en retraite) ou exercer leurs fonctions à titre temporaire.
  • Le gouvernement avait fait le choix, dès juillet 2020, d’élargir l’expérimentation à 30 départements. Un premier bilan, partiel, a été fait et diffusé sur le site du Ministère de la Justice. A lire ici. Le bilan positif tiré par ministère (réduction entre 6 et 8 mois des délais d’audiencement, la bonne qualité des débats, taux d’appel (21 %) inférieur à celui des cours d’assises (32 %), pour des peines identiques en quantum moyen).
  • Le bilan est plus nuancé chez d’autres acteurs de la justice.
    Outre le fait qu’Eric Dupont-Moretti, quand il était avocat, a maintes et maintes fois contesté le fait de substituer au jury populaire de la cour d’assises des juges professionnels, un certain nombre de magistrats et d’avocats s’interrogent sur le bien-fondé de l’élargissement de la pratique, avant même qu’un bilan complet et circonstancié ait pu être fait.
    • On peut lire ici l’article publié sur son blog Paroles de juges par Michel Huyette, magistrat. Il questionne le choix des affaires choisies pour être jugées par des magistrats professionnels, revenant par là sur l’aspect pégagogique et citoyen de la cour d’assises.
    • Sept universitaires publient une tribune dans Le Monde daté du 20 avril 2021 [1] Les auteurs soulignent que la raison majeure, réelle, de cette réforme, est financière : la cour d’assises populaire a un coût certain. Mais comment évaluer le cout de la justice ? Faut-il l’évaluer comme tout autre service public ? Est-ce possible ? Comment mesurer le gain démocratique : « Dans une démocratie qui se veut plus participative, pourquoi se priver d’un moyen qui a fait ses preuves ? Les citoyens doivent-ils se borner à élire des représentants politiques ? Les démocraties ne devraient-elles pas encourager leurs citoyens à ne pas seulement sélectionner ceux qui vont décider de leurs lois, mais à délibérer, aussi, sur la manière dont elles sont appliquées en pratique ? La réponse est dans la question. » A noter que l’étude d’impact du projet de loi pour la confiance en l’institution judiciaire ne faisait pas mystère de cet aspect financier, en évoquant le gain en terme de "ressources humaines" : « Cette généralisation des cours criminelles départementales va avoir un impact fort en termes de ressources humaines. La participation de magistrats non-professionnels a été importante lors de l’expérimentation des cours criminelles. Elle a en effet permis de rendre ces dernières opérationnelles et efficaces et de préserver les magistrats de carrière »
    • Dominique Coujard, magistrat honoraire, a publié dès juillet 2020 un article intéressant sur le gain, pour l’institution judiciaire et son lien avec le peuple au nom duquel elle rend la justice, des cours d’assises avec un jury populaire. A lire ici

Notes

[1Sonali Chakravarti, professeure associée « droit et institutions démocratiques » à l’Université Wesleyenne (Middletown, Connecticut) et autrice de Radical Enfranchisement in the Jury Room and Public Life ; Albert Dzur, professeur de science politique à l’université de Bowling Green (Ohio) et auteur de Punishment, Participatory Democracy, and the Jury ; Antoine Garapon, magistrat, Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) ; Annabelle Lever, professeure de philosophie politique, chercheuse permanente au Cevipof-Sciences Po ; Marie Mercat-Bruns, professeure affiliée à l’école de droit de Sciences Po, directrice de la clinique « Accès au droit » ; Andrei Poama, professeur assistant au Centre for Public Values and Ethics à l’université de Leyde (Pays-Bas) ; Suja Thomas, professeure de droit à l’université de l’Illinois et autrice de The Missing American Jury : Restoring the Fundamental Constitutional Role of the Criminal, Civil, and Grand Juries.

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