Mineurs victimes d’infractions sexuelles : modifications législatives en débat

, par Aline Beilin

La sortie du livre de Camille Kouchner a permis de mettre en débat les insuffisances de la protection des mineurs, et les problèmes que la poursuite des auteurs peut poser au droit. L’exécutif — le ministre de la Justice EDM notamment — a affirmé vouloir légiférer rapidement. Retour sur les questions en débat

La discussion a eu lieu notamment au Sénat en janvier, et jeudi 18 février à l’Assemblée, à l’occasion d’une "niche" [1] parlementaire du groupe socialiste.

Plusieurs questions ont été débatues :

  • Introduction d’un seuil d’âge en deça duquel la relation sexuelle entre un majeur et un mineur serait qualifiée de viol ou d’agression. La question du consentement ou de son absence pourrait alors être écartée.
    Une proposition d’Annick Billon a déjà votée en première lecture au Sénat : elle introduit une présomption de non-consentement à 13 ans : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit ou tout acte bucco‑génital, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle." Lire ici. Selon une autre disposition de cette proposition, la contrainte et la surprise peuvent être constituées par le fait d’avoir moins de quinze ans : " La contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. »

La proposition votée à l’Assemblée jeudi 18 au soir retient l’âge de 15 ans.

Un des aspects de la discussion actuelle est donc la détermination d’un seuil d’âge : 13 ans ? 15 ans ? A quel âge peut-on prétendre que le consentement est donné, de manière libre et éclairé ? Y-a-t-il un âge, commun à tou-te-s, où le consentement peut être donné ?
Notons que l’introduction d’un seuil d’âge n’interdit pas de mettre en cause un auteur qui aurait une relation sexuelle avec un mineur au delà de ce seuil.

  • Mais le fait de légiférer pour protéger les victimes mineures ne peut-il pas conduire à criminaliser des relations sexuelles consenties entre mineurs, ou entre un mineur et un "jeune" majeur ? Le législateur doit tenir ensemble la légitimité de criminaliser les actes infractionnels d’agressions et de viols sur mineurs et le fait de maintenir licites des relations sexuelles librement consenties, adolescentes.
  • En débat aussi la criminalisation de toute relation incestueuse, jusqu’à l’âge de 18 ans. La proposition de loi présentée à l’Assemblée nationale reprend ce seuil d’âge ; le ministre de la justice s’est dit favorable à cette proposition. Le texte reste à écrire
    L’Assemblée nationale a voté cette disposition jeudi 18.
  • Sur la prescription le débat porte sur délai de prescription de l’action publique. Faut-il rendre les crimes incestueux imprescriptibles (comme le sont aujourd’hui les crimes contre l’humanité) ? Ou bien faut-il décider d’une prescription à 30 ans ?
    Le ministre de la Justice a proposé que la prescription puisse être réactivée ou échelonnée en cas de récidive.

Cet article paru dans Libération explique les réserves des magistrats sur la prescription "réactivée" ou "échelonnée". A lire ici

  • La nécessité de légiférer et les orientations choisies par les pouvoirs législatif et exécutif font débat parmi les acteurs de la justice
  • Cinq avocats pénalistes [2] ont publié une tribune dans le journal Le Monde du 14 février 2021. Ils alertent sur un procédé mis en place à Paris, qui consiste à ouvrir une enquête préliminaire en dépit de la prescription. Le procédé est mis en place pour se donner le temps de vérifier la prescription des faits (mais cela apparait fallacieux car cela est assez simple et rapide pour un procureur de la République), de se donner le temps de chercher d’autres victimes et de ne pas laisser sans réponse judiciaire une dénonciation de délits ou de crimes. Mais les avocats mettent en cause ce procédé, en dépit de ces légitimes intentions : en effet le procureur, lorsqu’il annonce la prescription, doit signifier à la victime que cette prescription ne signifie pas la non-culpabilité de l’auteur présumé. Les avocats auteur de la tribune donnent trois exemples de ce type de formule empreinte d’une légitime précaution : « Les faits dénoncés sont susceptibles d’être qualifiés pénalement mais sont prescrits » ; « les faits dénoncés ou révélés sont susceptibles de constituer une infraction, mais la prescription de celle-ci est acquise » ; « ces faits ont une connotation sexuelle non discutable et peuvent être analysés comme un délit d’agression sexuelle ». Mais ces formules laissent penser que l’auteur est coupable, alors même que l’affaire n’a pas été instruite. Ce qui peut être considéré comme une atteinte à la présomption d’innocence. Pour ces avocats, le tribunal médiatique a eu raison de la justice.

Voir aussi nos articles iciet là.

Notes

[1On appelle niche une journée dédiée à un groupe parlementaire, où celui-ci peut proposer et soumettre au vote des députés des modifications législatives

[2Marie Dosé, Céline Lasek, Delphine Meillet, Christian Saint-Palais, Daniel Soulez-Larivière, Hervé Temime, avocats à la Cour

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