Contre les mutilations imposées aux enfants intersexes

, par Aline Beilin

Le député Raphaël Girard a proposé un amendement à la loi confortant les principes républicains, destiné à protéger des interventions mutilants faites sur les enfants nés intersexes, c’est-à-dire« avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins ». [1]

En jeu, la binarité des sexes dans l’état des personnes. Au regard de cette binarité, des équipes médicales sont amenées à procéder à des opérations de réassignation de sexe aussi appelées thérapies de conversion.

L’amendement est ainsi rédigé : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité corporelle d’un mineur dans le but de conformer l’apparence de ses organes génitaux au sexe masculin ou féminin que si l’intéressé exprime personnellement sa volonté de subir une telle opération. »
Les personnels de santé ayant recours à des telles opérations pourraient être punis d’une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Rappelons en effet que l’article 16-3 du code civil stipule :
Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.

Sur la binarité des sexes
La Cour de cassation a rendu un arrêt le 4 mai 2017, où elle reprenait la position constante de la jurisprudence et du législateur, en ces termes : « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ; (Et attendu que=, si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un “sexe neutre” aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ».

La Cour européenne des droits de l’homme a examiné en juillet 2020 la requête du requérant débouté par la Cour de cassation. Elle interroge les parties : "
« 1. Le requérant est-il fondé à soutenir que le rejet de sa demande tendant à ce que la mention « neutre » soit inscrite sur son acte de naissance à la place de sexe « masculin » est constitutif d’une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de son droit au respect de la vie privée ?
2. Dans l’affirmative, cette ingérence était-elle prévue par loi, poursuivait-elle un des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention et était-elle nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but ?
3. Dans la négative, l’obligation positive de l’État défendeur de garantir aux personnes relevant de sa juridiction le droit au respect de leur vie privée comprend-elle celle de donner aux personnes intersexuées telles que le requérant la possibilité de ne pas voir inscrite sur leur acte de naissance la mention « sexe masculin » ou « sexe féminin » ? »

Ce faisant, la CEDH met en cause la France pour son refus de mentionner "sexe neutre" ou "intersexe".

L’amendement sera -t-il voté ?
Un tel amendement a -t-il sa place dans la loi confortant les principes républicains ? Ne s’agit-il pas d’un cavalier législatif ?
Lors du débat sur la loi bioéthique à l’été dernier, un autre député, Guillaume Chiche avait proposé un amendement visant aussi à interdire ces opérations. Mais l’Assemblée nationale a refusé l’introduction de l’amendement dans la loi bioéthique en août 2020. En réalité, un certain nombre de députés ont porté cette question à l’assemblée. Deux d’entre eux ont publié un rapport très intéressant sur la question (voir pj)

La parole aux personnes concernées
Un collectif de victimes de ces thérapies de conversion a publié une tribune dans le journal Le Monde [2] : « « Infestés par des démons », « affectivement immatures », « contre nature », « pervertis »… Voilà comment nous sommes considérés par ceux qui ont voulu « guérir » notre homosexualité ou notre transidentité, encouragés par une vision obscurantiste de la religion ou par une pratique datée de la psychologie.
Ces tentatives de modifier notre orientation sexuelle ou notre identité de genre ne sont ni fantasme ni réalité d’un autre âge. Ces pratiques existent bel et bien aujourd’hui, en France, nous en sommes témoins. Que ce soit par des sessions spirituelles, des accompagnements thérapeutiques ou spirituels, des exorcismes, des rassemblements de prière, des jeûnes ou tout autre type de pressions, ces actes qualifiés d’« homothérapies » ou, plus fréquemment, de « thérapies de conversion », portent gravement atteinte à la personne humaine et à son identité, qu’on ne peut modifier.
Soyons clairs : ces pseudo-thérapies ne fonctionnent pas. Pire, elles produisent des dommages profonds que nous avons tous subis : honte, culpabilité, isolement, désespoir. Nous avons parfois dû lutter contre des épisodes de dépression, d’anxiété et des pensées suicidaires, voire tenté de mettre fin à nos jours
. »

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