Plaider en visio ? Pas sans le consentement des parties, dit le Conseil constitutionnel

, par Aline Beilin

En novembre 2020 le Conseil d’Etat avait censuré l’usage de la visio lors d’un procès d’assises. Voir notre article. Le 15 janvier 2021, c’est le Conseil constitutionnel qui a censuré l’usage de la visio lors d’un procès pénal sans le consentement des parties. Si l’ordonnance incriminée n’était plus efficiente, puisqu’elle ne valait que pour la période du premier confinement, cette décision renouvelle les réserves des juges à l’égard d’une mesure souhaitée depuis quelques années par le ministre et/ ou par le Parlement.

Le Conseil constitutionnel, saisi de trois QPC, statuait sur l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020, qui autorise, de manière dérogatoire, l’usage de la visio devant toutes les juridictions pénales [1], sans qu’il soit besoin de recueillir l’accord des parties.
Le ministre de la justice avait pris cette ordonnance pour permettre la continuité du service public de la justice en période de covid-19, en regard de la protection de la santé, qui est un objectif à valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel se fonde ici sur les droits de la défense : «  Il résulte de tout ce qui précède que, eu égard à l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale, notamment dans les cas énoncés au paragraphe 8, et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication, ces dispositions portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire particulier résultant de l’épidémie de covid-19 durant leur période d’application. Elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution. »

Le Conseil constitutionnel s’est donc prononcé sur une non-conformité totale de l’ordonnance du 25 mars 2020 avec la constitution. Lire la décision ici.

Dans une interview publiée sur le site Actu-juridique, Gérard Tcholakian, avocat au barreau de Paris et membre du Syndicat des avocats de France, montre la difficulté qu’il y a à recueillir le consentement éclairé des personnes détenues et l’importance de l’audience : « L’art de juger, c’est prendre le risque de tomber dans l’empathie à l’égard de celui qui se tient à cinq mètres de soi, de le voir transpirer, trembler, pleurer. Le juge doit assumer ce risque. C’est ainsi depuis la nuit des temps. L’audience est le lieu où les gens se rencontrent face à face. L’expérience des masques à l’heure actuelle nous le montre bien, ce n’est pas la même chose de parler à quelqu’un à visage découvert et avec un masque, dans le deuxième cas on voit beaucoup moins les réactions. La visioconférence, c’est la même chose mais en pire. » L’interview peut être lue ici

Cet article publié sur le site Liberté, libertés chéries fait le point sur le dialogue entamé depuis quelques années entre les juges d’un coté, et le ministre de la justice et le parlement de l’autre. Il rappelle notamment que la question a été posée bien avant l’état d’urgence sanitaire :« La décision du 15 janvier 2021 marque l’aboutissement, au moins provisoire, d’une tension ancienne entre le parlement et le Conseil constitutionnel sur cette question. Bien avant l’état d’urgence, des textes étaient déjà intervenus pour multiplier les audiences par visioconférence, notamment l’ordonnance du 1er décembre 2016, puis la loi Belloubet de programmation pour la justice du 23 mars 2019. A l’époque, il n’était pas nécessaire d’invoquer le risque épidémique. On insistait sur l’impératif de sécurité, la personne ne sortant pas de l’univers carcéral, et surtout sur des motifs plus terre-à-terre, le coût des extractions et le manque de personnel chargé de conduire les personnes emprisonnées devant les juges.  »

Notes

[1à l’exception des cours criminelles

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