Crimes incestueux, encore et toujours.

, par Aline Beilin, Valérie Marchand

Olivier Duhamel, politiste, président de la Fondation nationale des sciences politiques, homme public reconnu et respecté dans les cercles intellectuels, est accusé par sa belle-fille d’être l’auteur d’actes incestueux sur la personne de son beau-fils, alors agé de 13 ans. Fin du silence

Olivier Duhamel a démissionné de ses fonctions et est, en droit, présumé innocent.

Camille Kouchner, soeur de la victime, publie le 7 janvier un livre intitulé "la Familia grande", publié au Seuil. Ariane Chemin, journaliste au Monde a enquêté et interroge Camille Kouchner sur le silence du cercle familial et amical « : « Je ne révèle rien dans ce livre. Tout le monde sait », lâche Camille Kouchner. « Tout le monde », non. Mais un bon nombre d’amis du couple, figures de la bourgeoisie intellectuelle parisienne. », raconte-t-elle.
Elle explique dans ce livre pourquoi il n’est pas simple de parler : « L’adolescente aime Olivier Duhamel « comme un père ». S’il agit ainsi avec « Victor », se persuade-t-elle, c’est que ce n’est ni grave ni mal. « Ça s’appelle l’emprise, analyse-t-elle trente-deux ans après. Pendant toutes ces années, plus que de me taire, j’ai protégé mon beau-père. Face à l’alcoolisme de ma mère, il organisait nos vacances, nous emmenait au ciné, m’initiait au droit… » Et puis, « Victor » lui-même exige que sa jumelle n’en dise rien »

Cette révélation courageuse donne à penser.

  • un tabou sociétal.. mais un fait répandu. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qui s’appuie sur les chiffres des services de police et les unités de gendarmerie : sur 6 737 personnes mises en cause pour des violences sexuelles incestueuses entre 2016 et 2018, 95 % sont de sexe masculin. Parmi les 4 341 victimes de violences sexuelles incestueuses (dont 77 % de filles) enregistrées pendant ces trois ans, la moitié avait moins de 4 ans. [1]. Lire ou relire un texte de Claude Lévi-Strauss sur la prohibition de l’inceste d’un point de vue anthropologique ici. On peut lire aussi cet éditorial du journal Le monde daté du 23 nov 2020 intitulé "combattre le tabou de l’inceste".
  • un crime frappé de silence. Comment dénoncer un père, ou celui qui en assume le rôle ? Où trouver la force de parler et de détruire une famille qui s’affiche aussi soudée ? Voir ou revoir le film Festen, de T.Vintenberg, 1998
  • un crime frappé d’omerta. L’omerta est sociale : des amis savaient et n’ont rien dit. Mais si l’omerta est un phénomènes de société, en droit, elle porte un autre nom : la non-dénonciation de crime, qui est une infraction délictuelle. Article 434-1 du code pénal
  • les processus psychiques de dissociation et de mémoire traumatiques, mis en évidence par Muriel Salmona notamment. Lire les articles de M.Salmona ici
  • la famille, huis-clos ambivalent par essence, protecteur et destructeur à la fois.
  • l’inceste est une notion que le droit peine à cerner. En l’état actuel du droit, l’article 222-31-1 du code pénal énumère les personnes susceptibles d’être auteurs d’infractions sexuelles incestueuses. Cependant, cet article est plus récent que les faits et la loi n’est pas rétroactive. Elle ne peut donc s’appliquer ici. Reste l’incrimination de viol sur mineur par personne ayant autorité, deux circonstances aggravantes du viol. Un point sur la notion d’inceste en droit dans cet article du site Liberté, libertés chéries.
  • A lire également , cet article de Anne-Claude Ambroise-Rendu, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines :Inceste : au-delà du bruit médiatique, entendre la tragique banalité du phénomène, en ligne sur The conversation.fr,
  • la question judiciaire du délai de prescription. La loi 2014-873 du 4 août 2014 a porté à 20 ans le délai de prescription concernant le délit d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans. Faut-il rendre imprescriptibles les crimes sexuels sur mineur de quinze ans ou bien porter le délai de prescription à 30 ans ? Certains représentants d’association de défense de l’enfance maltraitée réclament cet allongement du délai de prescription. Le représentant de l’association Aide aux parents d’enfants victimes s’exprimait ainsi dans une contribution au débat parlementaire sur la question : « La prescription, c’est la décision de ne pas poursuivre et juger l’auteur d’un crime identifié dans un certain délai (...) Je vous dirais que ce principe est intolérable et qu’aucune victime ne peut l’accepter. Qu’est-ce qui justifie qu’une société aurait le droit d’« oublier » un crime ? Qu’une société se refuse à juger l’auteur d’un crime, comme si ce crime n’avait jamais existé ? Au mépris des victimes » [2]
  • Que peut la justice lorsque les faits sont prescrits ? Le procureur de Paris a révélé qu’une procédure sur ces faits avait été ouverte en 2011, mais sans qu’une plainte soit déposée ; l’affaire avait été à l’époque classée sans suite. Le procureur a annoncé dans un communiqué avoir ouvert une enquête préliminaire contre Olivier Duhamel :« Les nouvelles investigations, confiées à la brigade de protection des mineurs (BPM) de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ), s’attacheront à faire la lumière sur ces faits, à identifier toute autre victime potentielle et à vérifier l’éventuelle prescription de l’action publique ».

Notes

[1Note publiée en décembre 2020

[2Rapport parlementaire de MM Tourret et Fenech no 2778 sur la prescription en matière pénale, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 20 mai 2015. 

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