Attentats de janvier : la justice est passée

, par Aline Beilin

L’individualisation de la peine est une des prérogatives du juge. Les magistrats de la cour d’assises spéciale de Paris — cinq magistrats professionnels — ont prononcé des peines allant de 4 ans de réclusion à la perpétuité. Certains accusés ont été reconnus comme complices, d’autres ont été incriminés pour association de malfaiteurs terroristes. Pour d’autres enfin, la qualification de terrorisme est tombée.

  • Du chef de complicité d’actes criminels de nature terroriste
    Trois des accusés étaient jugés par défaut : Mohamed Belhoucine, présumé mort en Syrie a été condamné à la peine de perpétuité pour complicité de crimes terroristes. Rappelons que le complice d’un crime est puni, en droit pénal, de la même peine que l’auteur. Hayat Boumeddienne, ex-compagne d’Amedy Coulibaly, en fuite depuis 2015, a été condamnée à 30 ans de réclusion, assortis d’une période de sûreté de 20 ans.

Le seul accusé présent dans la salle d’audience à avoir été condamné pour complicité de crime terroriste est Ali Riza Polat, accusé d’avoir aidé Amedy Coulibaly à perpétrer les crimes de l’hyper Cacher de la porte de Vincennes.

  • Du chef d’association de malfaiteurs terroriste
    Amar Ramani a été condamné à 20 ans de réclusion (période de sûreté des deux tiers), Nezar Mickaël Pastor Alwatik à 18 ans de réclusion, Willy Prévost à treize.
  • La qualification terroriste a été abandonnée pour six accusés qui connaissaient peu Amedy Coulibaly : les magistrats les ont condamné, car leurs actes sont permis la commission d’une infraction criminelle. Mais ils ont reconnu par l’abandon de la qualification terroriste que les accusés pouvaient ne pas avoir connaissance de la nature des actes criminels auxquels ils apportaient une aide. Des peines allant de 5 à 10 ont été prononcées à leur encontre.

Autrement dit, le procès a aussi permis de mettre en lumière les liens souvent étroits entre le banditisme et le terrorisme.

Les magistrats se sont expliqués sur l’absence de qualification incriminant l’antisémitisme à l’oeuvre dans l’attaque de l’hyper Cacher : « seul un motif procédural lié à l’application de la loi dans le temps a empêché de retenir la circonstance aggravante d’appartenance à une religion déterminée pour le crime de séquestration ». Autrement dit, le motif antisémite ne fait pas de doute. C’est pour une question de procédure que le caractère aggravant n’a pas été retenu formellement.

Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, a souligné un aspect important de ce verdict : il s’agit ici d’affirmer que la commission d’actes terroristes requiert des aides diverses, et que ces gestes et actes d’aide ne restent pas impunis : « C’est la fin de quelque chose aujourd’hui, ça a été douloureux, ça a été une étape d’un deuil, nécessaire et indispensable (…). Ce que dit cette décision, c’est que sans cette nébuleuse il n’y a pas d’attentat ; sans nébuleuse, il n’y a pas de terroristes. J’espère que ce message sera entendu. Il ne ressuscitera personne, mais peut-être que ça évitera à d’autres drames de se produire ».
Dans une interview au journal Le monde (en date du 18 décembre), Riss, dessinateur et directeur de Charlie Hebdo, va dans le même sens : « Ils sont tous coupables, ils ont tous fait quelque chose d’illégal. En disant cela, la cour a dit en creux que nous, nous étions innocents. » Et il précise : « On a découvert le petit monde des truands de banlieue. Ce qui m’a parfois gêné, c’est qu’on sombrait dans le pittoresque. Un univers à la Audiard, avec sa gouaille. Ils ont tout fait pour qu’on les voit comme ça. Au bout d’un moment, on se laissait un peu berner. Parce que c’était à la fois vrai, c’était des petits truands, mais il fallait aussi se demander à partir de quand ils avaient basculé dans autre chose, dans une sorte de zone grise. J’avais eu le même sentiment en assistant au procès Merah : la limite entre la criminalité et l’islamisme est un peu floue. Ce sont deux activités hors de la légalité qui, à un moment donné, se rencontrent. Il fallait donc faire le tri entre la criminalité traditionnelle et la criminalité terroriste. Souvent je me disais, j’espère que la cour y voit plus clair que moi (sourires). Je misais sur le professionnalisme des magistrats. On reproche à ces cours d’assises d’être composées de magistrats professionnels, je trouve que ce n’est pas plus mal car ils sont aguerris, ils connaissent ce genre de profil. Alors que quand on est novice, on peut se laisser avoir. »

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