Le projet de loi contre les séparatismes

, par Valérie Marchand

Le 15 juillet, le premier ministre Jean Castex avait à l’occasion de son discours de politique générale, réitéré sa volonté de s’attaquer « aux séparatismes » et annoncé qu’un projet de loi serait présenté en conseil des ministres, « à la rentrée ». Le 4 septembre, dans son discours célébrant les 150 ans de la proclamation de la République par Léon Gambetta, Emmanuel Macron avait repoussé la présentation du projet "à l’automne" affirmant que "la République, parce qu’elle est indivisible, n’admet aucune aventure séparatiste ». Dans une interview donné au Parisien le 6 septembre, Marlène Schiappa, ministre "chargée de la citoyenneté, avait apporté quelques précisions : la liberté d’association pourrait, au nom de la lutte contre les séparatismes être l’objet de restrictions, toute aide financière publique pourrait être retirée aux associations "ennemies de la République" et celles qui ne respectent pas "les valeurs de la République" pourraient être fermées.

Dans son blog "Libertés, libertés chéries, Roseline Letteron, Professeure de droit public à La Sorbonne, précise tout d’abord que le contenu de ce projet n’est pas encore réellement connu. Elle met cependant l’accent, au cas où le projet de loi serait conforme aux annonces faites, sur "la douloureuse épreuve terminologique" qu’auront à surmonter les juges ainsi que sur le caractère redondant de ces réformes.

Tout d’abord, quelle est la définition du "séparatisme " ? Comment les juges vont-ils pouvoir "distinguer les associations "ennemies de la République" et celles qui n’en respectent pas "les valeurs". Une association "ennemie de la République" est-elle celle qui refuse le régime républicain ? "

Même perplexité concernant "les valeurs de la République" : la dignité , le principe de non-discrimination sont des normes juridiques et leur non-respect est déjà sanctionné par les juges....
Quant au principe de laïcité, il s’agit d’une norme de valeur constitutionnelle consacrée dans l’article 1er de la Constitution.
>>>A lire sur le site du Conseil Constitutionnel : Comment la Constitution protège-t-elle la laïcité ?

Selon Roseline Letteron, considérer la laïcité comme une valeur "revient ainsi à l’affaiblir alors que le but de la loi devrait être de la faire respecter."

Concernant la charte de la laïcité, Roselyne Letteron rappelle que l’idée n’est pas nouvelle, que des chartes de la laïcité ont été mises en oeuvre par les collectivités locales, l’obtention d’aides et de subventions par les mouvements associatifs actifs dans la collectivité étant subordonnée à la signature de ce document. On peut cependant s’interroger sur l’efficacité de telles mesures qui ne s’appliquent pas à une association ne respectant pas le principe de laïcité et ne demandant pas de subventions.

Sur l’annonce faite par Marlène Schiappa de la fermeture des associations qui ne respecteraient pas "les valeurs de la République" , Roselyne Letteron fait part de son étonnement :
"La ministre ignorerait-elle l’existence même de la grande décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971, celle-là même par laquelle il s’est approprié le contrôle de constitutionnalité ? En faisant de la liberté d’association un principe fondamental reconnu par les lois de la République et en l’érigeant ainsi au niveau constitutionnel, le Conseil la protégeait contre d’éventuelles atteintes de l’Exécutif. C’est ainsi qu’un préfet ne saurait refuser le récépissé de déclaration d’une association. Dans l’hypothèse où son objet est illicite, il doit alors saisir le juge pour demander la dissolution judiciaire du groupement. "

Une loi proposant une fermeture des associations par l’Exécutif risquerait une déclaration d’inconstitutionnalité.

Il est donc légitime de se demander si cette naïveté ( qui traduit une méconnaissance du droit) ne serait pas volontaire , si la finalité poursuivie par cette loi n’est pas purement électorale, et s’il ne s’agit donc pas là, encore, d’un pur affichage politique.

A lire sur notre site :
Le Conseil constitutionnel censure largement la loi Avia
Terrorisme : le Conseil consitutionnel dit non aux mesures de sûreté

Voir en ligne : "La loi sur les séparatismes et la liberté d’association", par Roseline Letteron

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