Diffusion des photos des humanitaires tués au Niger. Du respect de la vie privée, par delà le décès

, par Aline Beilin

La diffusion des photos des cadavres des humanitaires s’est faite via les réseaux sociaux (Twitter en l’occurence). Cela pose des problèmes spécifiques, souvent mis en débat, notamment ceux de l’anonymat sur les réseaux sociaux et des moyens de la lutte contre la cybercriminalité. Mais une des questions posée est aussi celle du respect dû aux corps humains, vs le droit à l’information. Le respect de la vie privée ne cesse pas avec le décès de la personne. Quel respect doit-on au cadavre ? Peut-on, au nom du droit à l’information ou d’un droit d’expression et de pensée, publier ou diffuser la photo d’un cadavre ?

  • Le cadavre n’est pas une personne juridique : le cadavre ne peut avoir de droits subjectifs, puisqu’il n’est pas une personne, même si le législateur le qualifie de « chose humaine ». Pourtant, s’il n’est pas une personne, il n’est pas non plus une chose comme une autre : le droit à l’image, le droit à l’honneur, le droit au respect de la mémoire, sont des droits qui peuvent être invoqués par la famille. Ainsi le cadavre bénéficie donc d’une protection particulière.
  • Un nombre important de décisions de justice ont été rendues à ce sujet (concernant l’affaire I. Halimi par ex)
  • A chaque fois l’éditeur de presse plaide la liberté d’information, à laquelle doivent être subordonnés selon lui les affects de famille et des proches de la victime. De plus, l’éditeur de presse argue que la barbarie est celle des assassins et non du journal. Autant d’arguments qui s’entendent tout à fait, mais qui font peu de cas du respect dû au cadavre.
  • Dans l’affaire opposant la famille du préfet Erignac, mort assassiné en Corse, et l’hebdomadaire Paris Match, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu une décision qui fait droit au respect du corps humain, même après le décès.

Les faits. Le 12 février 1998, Paris-Match a publié un article intitulé « La République assassinée » avec, comme illustration, la photo du cadavre du préfet Erignac assassiné en Corse le 6 février 1998, en sang.

La famille avait demandé la saisie du magazine et 150 000 francs de dommage et intérêt. Si le tribunal de première instance n’a pas fait droit à ces dommages et intérêts importants, il a pourtant accédé à la famille au motif que la photo diffusée porte une "atteinte intolérable aux sentiments d’affection des demandeurs". Le journal est donc condamné à publier un communiqué spécifiant que la photo publiée cause un trouble grave à Madame Erignac et à ses enfants. L’artcile 9 du code civil consacre en effet le droit à la vie privée.
Paris-Match interjette appel. Mais le jugement de 1ère instance est confirmé en appel. La Cour de cassation rejette le pourvoi du journal en 2000.
Le journal introduit donc une requête à la CEDH en 2001. La demande est déclarée recevable en 2006. La décision de la CEDH confirme les jugements et arrêts des tribunaux français.

  • Pour autant il n’y a pas de droit à l’image pour une personne décédée, qui ne peut pas faire valoir un droit subjectif. Si le droit à l’image fait partie du droit à la vie privée, en revanche le droit à l’image s’éteind avec la personne décédée.
    Pour aller plus loin... Joelle Verbrugge est avocate spécialisée en droit l’image notamment. Elle publie un blog intitulé "Droit et photographie". Elle a publié aussi sur le site Village de la justice en décembre 2016 un article éclairant sur les images des victimes du Bataclan. A lire ici https://www.village-justice.com/art.... Sur le même sujet, on peut lire une interview publiée en 2016 par le journal Libération (ici)

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