Droit des enfants étrangers : condamnation de la France par la CEDH

, par Valérie Marchand

La France est condamnée par la CEDH pour la rétention de deux enfants, âgés de 3 et 5 ans, entrés illégalement à Mayotte , leur rattachement arbitraire à un adulte inconnu et leur éloignement expéditif. La France devra verser 22 500 euros pour dommage moral aux deux enfants et à leur père.

L’arrêt de la CEDH

Lire la Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 241
Extrait :
En fait – Mayotte est un département français d’outre-mer, dans l’archipel des Comores. Les faits se passent en 2013, les requérants étant trois ressortissants comoriens : un père (le premier requérant) et ses deux enfants (alors âgés de 3 et 5 ans – sauf précision contraire ci-après, les griefs sont présentés au nom des enfants).
Les deux enfants partirent des Comores avec une quinzaine de personnes sur une embarcation de fortune pour rejoindre Mayotte, où leur père résidait légalement. Interpellés en mer à 9 heures, ils virent leurs noms inscrits sur l’arrêté de reconduite à la frontière pris à l’encontre de l’un des adultes du groupe (M.A.). À 14 heures, ils furent placés en rétention administrative dans l’enceinte d’un commissariat de police. Leur père vint sur place, mais ne fut pas autorisé à les rencontrer. À 16 heures 30, les enfants furent mis avec M.A. sur un ferry à destination des Comores.
Une heure après, le père déposa un recours en référé-liberté devant le tribunal administratif. Tout en relevant que la décision en cause était « manifestement illégale », le juge des référés rejeta la demande pour défaut d’urgence. Le juge des référés du Conseil d’État rejeta l’appel, estimant qu’il appartenait à l’intéressé de suivre la procédure appropriée pour former une demande de regroupement familial. En 2014, les deux enfants se virent accorder dans ce cadre un visa de long séjour.

En droit

Extraits concernant la violation de l’article 3
"La Cour conclut non seulement que les deux enfants constituaient bien des mineurs « non accompagnés », mais aussi que leur rattachement à M.A. était arbitraire, opéré non dans le but de préserver l’intérêt supérieur des enfants, mais dans celui de permettre leur expulsion rapide vers les Comores ; sans être déterminant en soi, ce dernier constat est un élément pertinent pour l’examen des autres griefs.
Sur les conditions de rétention – Les conditions de rétention des deux enfants étaient les mêmes que celles des adultes appréhendés en même temps qu’eux : dans un centre de rétention temporaire, créé dans l’enceinte d’un commissariat, alors qu’ils étaient séparés de tout membre de leur famille. Abstraction faite leur rattachement arbitraire à M.A., aucun adulte n’a été désigné pour s’en occuper.

"Sur les conditions du renvoi vers les Comores – i. Pour les deux enfants renvoyés – Force est de constater le manque de préparation et l’absence de mesures d’encadrement et de garanties entourant le renvoi litigieux : les deux enfants ont effectué seuls le voyage vers les Comores, sans être accompagnés par une personne adulte, à qui cette mission aurait été confiée par les autorités françaises, autre que M.A. à qui ils avaient été arbitrairement rattachés ; et les autorités françaises n’ont pas entrepris la moindre démarche pour contacter leur famille aux Comores ou les autorités de cet État afin d’assurer leur accueil à destination. Les deux enfants sont en conséquence arrivés à destination de nuit, sans que personne ne les attende, et n’ont pu compter que sur l’action d’un tiers dépourvu de liens avec eux pour leur éviter d’être livrés à eux-mêmes.
Ainsi, les autorités françaises n’ont pas veillé à une prise en charge effective des enfants, ni tenu compte de la situation réelle qu’ils risquaient d’affronter à leur retour dans leur pays d’origine. Leur refoulement, dans de telles conditions, leur a nécessairement causé un sentiment d’extrême angoisse et a constitué un traitement inhumain, ainsi qu’un manquement de l’État défendeur à ses obligations positives."

"Article 5 § 1 : Le placement en rétention administrative des deux enfants a constitué une privation de liberté. Or, on ne décèle aucun fondement juridique apte à justifier la privation de liberté subie.
Selon le droit interne applicable, l’étranger mineur de dix-huit ans ne pouvait pas faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire ni faire l’objet d’un arrêté de placement en rétention en vue de son éloignement. Cela explique qu’un tel arrêté n’a été pris qu’à l’encontre de l’adulte M.A.
Contrairement à d’autres affaires, le placement de facto en rétention des deux enfants ne reposait pas sur le souci d’éviter de les séparer de leur famille, mais seulement de permettre une expulsion que ne permettait pas le droit interne.
Conclusion : violation (unanimité)"

Lire l’arrêt du 25 juin 2020:Moustahi c. France - 9347/14

Lire l’article du Monde sur la question

La France avait déjà été condamnée à quatre reprises par la CEDH pour avoir placé des enfants en rétention

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