Affaire Marina Sabatier : condamnation de la France par la Cour EDH

, par Valérie Marchand

La CEDH a estimé, dans un arrêt daté du 4 juin 2020, que la France n’a pas protégé la fillette des "tortures et traitements inhumains" infligés par ses parents. Marina est décédée en 2009, à l’âge de 8 ans, malgré un signalement à la justice et après plus de six années de sévices.

Dès 2009, le calvaire de Marina Sabatier avait mis en lumière de nombreuses lacunes administratives et judiciaires de l’époque. " C’était , d’après Michèle Créoff, ancienne vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance un condensé impressionnant de toutes les défaillances possibles de la protection de l’enfance".

En effet, malgré un signalement à la justice et des suspicions à l’époque, son dossier avait été classé sans suite.

Une procédure pour « faute lourde » avait été engagée par deux associations, Innocence en danger et Enfance et partage, mais classée sans suite en 2013. La responsabilité de l’ État n’a pas été reconnue .

Les voies de recours internes ayant été épuisées, les deux associations se sont alors tournées vers la CEDH : la cour a déclaré leur requête recevable alors même qu’en principe, seules les victimes directes peuvent saisir la CEDH . Le juge européen a donc estimé que, dans ce cas précis, permettre à des associations de se faire le relais de l’enfant décédé ( que ses responsables légaux, en tant que ses bourreaux, ne pouvaient représenter ) était la seule façon d’éviter de créer une impunité de l’État.

Lire la fiche sur les conditions de recevabilité de la saisine de la CEDH dans le cadre d’un recours individuel

Extrait : GRIEFS :
"GRIEFS

1. Invoquant l’article 2 de la Convention sous son volet matériel, les deux associations requérantes se plaignent du classement sans suite de la procédure le 6 octobre 2008, à la suite d’une enquête de police qu’elles jugent inefficace. L’association Enfance et Partage invoque en outre l’article 6 de la Convention à ce sujet.
2. L’association Innocence en Danger dénonce la nécessité de caractériser une faute lourde, au sens de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, afin de pouvoir engager la responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice. Elle estime que cette exigence, disproportionnée au regard de l’impératif absolu de protection des mineurs, est contraire au droit à un recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention.
3. Invoquant l’article 3 de la Convention sous son volet matériel, l’association Innocence en Danger estime que le système a failli à protéger Marina des abus extrêmement graves qu’elle a subis et qui ont abouti à son décès. Elle estime que les autorités, qui savaient ou auraient dû connaître la situation de grande détresse dans laquelle se trouvait l’enfant, avaient l’obligation de la protéger."

  • L’ Arrêt de la CEDH du 4 juin 2020
    Extrait :
    "175. Au regard des constats opérés ci-dessus, la Cour conclut que le système a failli à protéger M. des graves abus qu’elle a subis de la part de ses parents et qui ont d’ailleurs abouti à son décès.
    176. Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention"

("Art. 3. Interdiction de la torture
Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.")

  • Cet arrêt est très important : la France va désormais devoir rendre des comptes sur les suites qu’elle donnera à sa condamnation. Les marges de progrès en matière de protection de l’enfance sont réelles, la loi de 2016 n’étant que très partiellement appliquée.

A lire :Le "projet pour l’enfant" encore en projet dans certains départements

En 2017, le gouvernement a présenté le PLAN INTERMINISTERIEL DE MOBILISATION ET DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX ENFANTS. Mais, sur le terrain, la mise en oeuvre reste insuffisante.

De ce point de vue, l’arrêt de la CEDH peut ouvrir la voie à un contrôle accru par la cour, des pratiques qui ont cours en la matière et donc , in fine, à une meilleure protection de l’enfance.

A lire également : l’article très fouillé paru le 10 juin sur le blog Liberté, Libertés chéries

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)