Le Ministre de la Justice renvoyé devant la justice. Inédit

, par Aline Beilin

Lundi 3 octobre, la chambre d’instruction de la Cour de justice de la République a a signifié aux avocats du ministre que leur client était renvoyé devant la Cour de justice de la République. Une situation inédite.

Qui se plaint ? Les syndicats de magistrats (SM- Syndicat de la Magistrature et USM-Union syndicale des magistrats) et l’association anti-corruption ont porté plainte en décembre 2020. Une information judiciaire a été ouverte en janvier 2021. C’est à la suite de cette information judiciaire que la chambre de l’instruction a ordonné le renvoi le ministre devant un tribunal (fut-il spécial). Cela est une des raisons — et non la seule — de la tension permanente entre les magistrats et leur ministre de tutelle.

Quel délit ? Eric Dupont-Moretti est renvoyé devant la justice pour "prises illégales d’intérêts" . Il y a deux dossiers distincts, tous deux pour "prises illégales d’intérêts" : les magistrats instructeurs reprochent au Ministre de la Justice d’avoir utilisé sa position de ministre pour régler des comptes avec certains magistrats, auxquels il reproche des décisions le concernant alors qu’il était avocat pénaliste. Le délit de prise illégale d’intérêts est passible de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende.

Pourquoi la CJR ? La CJR, créée en 1993 (dans le contexte de l’affaire du sang contaminé), est compétente pour les infractions commises par des membres du gouvernement en exercice, qui ne sont pas jugés par les juridictions de droit commun. Parmi les 15 juges de la CJR, 12 sont des parlementaires élus au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat : la Cour n’est donc pas composée de juges professionnels. Il ne va pas de soi, d’ailleurs, que ce soit le cas. En effet, on peut se demander pourquoi les ministres en exercice, s’ils ont commis des délits ou des crimes dans l’exercice de leur fonction, ne sont pas jugés comme tout citoyen ? La discussion sur une éventuelle suppression de la Cour de justice de la République agite d’ailleurs le débat politique. Voir à ce sujet l’article Supprimer la Cour de justice de la République ?

Et maintenant ? Le jugement ? Les avocats du ministre ont indiqué se pourvoir en cassation. Le pourvoi est suspensif. Un des enjeux du pourvoi est donc de repousser un éventuel procès.
Il se trouve que l’accusation à la CJR est portée par le procureur général près la Cour de cassation, François Molins. Celui-ci part en retraite en 2023, et son successeur sera nommé par ... Eric Dupont-Moretti, toujours ministre de la justice.

De multiples questions se posent :

  • La plainte des syndicats de magistrats est motivée, in fine, par la remise en cause par le ministre de l’indépendance de la justice. Comment renforcer celle-ci ? Comment garantir l’indépendance des juges du siège (d’instruction et de jugement) ?
  • Peut-on rester ministre lorsqu’on est renvoyé devant un tribunal pour un délit commis dans l’exercice de ses fonctions ? Quelle est la légitimité actuelle du Garde des Sceaux ?
  • Toute décision de la CJR est l’objet de soupçon de partialité, au regard de la composition de la Cour, plus politique que professionnelle ?
  • Faut-il conserver la CJR ou la supprimer, et renvoyer les membres du gouvernement devant un tribunal de droit commun ?

Récit de l’affaire par Mathieu Delahouse, chroniqueur judiciaire à l’Obs. A lire ici

Voir dans Le Monde du 3 octobre ici et

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