Poursuivre au-delà des délais de prescription ?

, par Aline Beilin

Depuis février 2021, une vingtaine de femmes ont dénoncé Patrick Poivre d’Arvor, journaliste qui fut longtemps présentateur du Journal Télévisé comme auteur d’agressions sexuelles ou de viols. Toutes les victimes racontent les mêmes faits. Lorsqu’il rencontrait une jeune femme, PPPA agissait toujours de la même manière : il l’invitait à venir assister au journal, puis à boire un verre dans le studio vide, et alors agressait l’invitée.

La journaliste Hélène Devynck fait paraître en cette rentrée de septembre 2022 un livre intitulé "Impunité" : la justice a en effet classé sans suite, pour cause de prescription, la plainte qu’elle a portée contre PPDA pour viol et agression sexuelle. Or jusqu’ici toutes les plaintes de victimes ont été classées sans suite car les délais de prescription étaient dépassés. Pour rappel, en 2017, les délais de prescription ont été considérablement allongés : ils sont passés de 10 à 20 ans en matière criminelle, et de 3 à 6 ans en matière délictuelle. Mais la loi sur l’allongement des délais de prescription n’est pas rétroactive : c’est pourquoi les plaintes, comme celle de Florence Porcel, première femme à avoir accusé PPDA d’agissements criminels, ont jusqu’ici été classées sans suite. Florence Porcel, journaliste, est la première à avoir pris la parole et dénoncé deux rapports sexuels contraints, deux viols, en 2004 et en 2009.
Jusqu’ici les juges n’avaient retenu que les faits de 2009 pour faire l’objet d’une investigation car les faits de 2004 étaient prescrits. Voir Violences sexuelles dans l’audiovisuel. Au-delà ou en deça du délai de prescription
Dans une décision prise au début de l’été, la cour d’appel de Versailles a remis en question cette lecture de la prescription : elle a demandé aux magistrats qui instruisent les affaires d’examiner à nouveau la question de la prescription, en tenant compte cette fois du caractère sériel des faits.
Si l’argument juridique est peu utilisé, il existe pourtant des décisions jurisprudentielles sur lesquelles la cour d’appel peut se fonder, pour justifier un nouveau mode de calcul de la prescription.
En effet, dans un arrêt du 29 novembre 2005, la Cour de cassation avait reconnu la sérialité des faits (ici des extorsions de fonds avec abus de faiblesse). Extrait : « en cet état, la cour d’appel a justifié sa décision dès lors que les faits procèdent d’un mode opératoire unique et que, les infractions ayant été réalisées à la suite d’une succession de versements effectués de 1994 à 1998, dont l’ensemble a gravement préjudicié à la victime, la prescription court, pour chacune d’elles, à compter du dernier de ces versements, intervenu moins de trois ans avant le premier acte de poursuite »
Si l’argument est retenu, non seulement les faits de 2004 dénoncés par Florence Porcel pourraient être pris en compte, mais les autres plaintes pourraient être examinées et reçues, au titre de la sérialité.

Faut-il réformer la prescription pour les crimes sexuels commis sur des majeurs ? Nombre d’avocat-e-s des victimes de violences sexuelles demandent que les délais de prescription pour les violences sexuelles soient allongés, comme ils l’ont été pour les mineurs par la loi du 21 avril 2021.
Certaines dispositions présentes dans les codes permettent déjà au procureur de calculer le délai de prescription à compter du moment où l’infraction est révélée et connue, et non à partir de la commission des faits. C’est le cas de l’article 9-1 du code de procédure pénale, qui concernent les infractions occultes et dissimulées. Cette disposition pourrait par exemple être élargie aux crimes sexuelles.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)