Libertés publiques et mesure de police administrative : l’expulsion d’un prédicateur en question

, par Aline Beilin

Le Conseil d’Etat a infirmé la décision de première instance. Le Conseil d’Etat était saisi d’un appel contre une ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris qui suspendait l’expulsion de Hassan Iquioussen.

Chronologie des faits :

  • le 29 juillet 2022, le ministère de l’intérieur prend une décision d’expulsion du territoire à l’encontre de Hassan Iquioussen, prédicateur musulman qui se revendique du statut d’imam. Il s’agit d’une mesure de police administrative : l’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public. La possibilité d’une telle mesure d’ expulsion est posée dans l’article 631-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Le ministère fixe le pays de destination, en l’occurrence le Maroc.
  • H.Iquioussen saisit le juge des référés du Tribunal administratif de Paris pour contester la mesure d’expulsion. Le 5 août 2022, le juge de référés rend une ordonnance favorable au prédicateur : il suspend l’exécution de la décision d’expulsion et enjoint le ministère de l’intérieur de réexaminer la situation de M. Iquioussen.
  • En réponse, le ministère de l’intérieur saisit le Conseil d’Etat par une requête en référé. Il demande au juge des référés du Conseil d’Etat de suspendre l’ordonnance de première instance.
  • Le juge des référés du Conseil d’Etat, en formation collégiale, infirme la décision de première instance le 30 août 2022. Par là, il rejette la demande de suspension de l’expulsion et rend la décision, de ce fait, exécutoire.

Le ministère de l’intérieur reproche à M. Iquioussen des propos antisémistes réitérés, des propos sur l’infériorité et la soumission de la femme à l’homme, des propos complotistes, et le soutien à Oussama Ben Laden. Des propos parfois anciens, qui n’ont pas valu de poursuites pénales à M. Iquioussen.
M. Iquioussen a reçu le soutien de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré.es) : ces deux associations ne défendent pas les propos discriminatoires tenus mais la liberté d’expression et le caractère disproportionné de la mesure.

Le juge des référés rend sa décision au regard de plusieurs éléments : y a-t-il une atteinte à l’ordre public ? L’expulsion de M Iquioussen peut-elle porter atteinte à ses droits à la vie privée et familiale ? (par exemple en le séparant de ses enfants et/ou de son épouse). M. Iquioussen pourrait-il être exposé à des risques réels de se voir infliger des traitements inhumains et dégradants s’il était expulsé ?

En l’occurrence, le juge du Conseil d’Etat n’a pas retenu la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. L’expulsion ne peut être fondée sur ce motif. En revanche, le juge des référés a retenu le caractère antisémite du discours du prédicateur et le discours d’apologie de l’inégalité entre les sexes, arguant du fait que les dénégations et autres propos de repentir de M. Hassan Iquioussen n’étaient pas sincères. Au fond, le juge des référés a statué en présumant que M. Iquioussen mentait. Il pourrait s’agir, selon certains juristes, d’une jurisprudence "taqyia", celle étant bien difficile à établir, par définition...

Lire la décision du juge des référés du Conseil d’Etat ici
Lire le communiqué de presse du CE en document joint

H.Iquioussen aurait quitté le territoire nationale. Selon le préfet des Hauts de France, en se soumettant à une mesure d’expulsion du territoire il aurait commis un délit. Paradoxe, pour le sens commun, puisqu’il aurait par là quitté le territoire, ce qui est lui commandé de faire. Le préfet a d’ailleurs Le procureur de la République de Valenciennes a d’ailleurs saisi un juge d’instruction qui a délivré un mandat d’arrêt, converti peu après en mandat d’arrêt européen. Pour rappel, le procureur de la République ne peut pas délivrer un mandat d’arrêt, mandat qui ordonne à la force publique de conduire le mis en cause devant le juge, en vue d’un placement sous écrou.
Mais Serge Slama, professeur de droit public à l’Université de Grenoble s’étonne, et c’est une litote, qu’une mesure d’expulsion administrative soit suivie d’un mandat d’arrêt délivré par un juge judiciaire, alors même que, si M. Iquioussen a bien quitté le territoire, la mesure est exécutée. Si l’est en Belgique, c’est à la Belgique de faire droit. Et n’est-ce pas en restant en France qu’il se rendrait coupable d’un délit ? Il ne va pas de soi que le juge judiciaire soit ici mis à contribution pour exécuter une mesure administrative. Serge Slama analyse cette situation juridique dans un article très complet publié sur le blog des juristes, ici
Serge Slama était aussi l’invité de l’émission "Story" BFM TV, où il est intervenu à la fois sur la question juridique (administratif ou judiciaire ? ) et sur les erreurs des journalistes relatant l’affaire (écouter à partir de 15 mn Serge Slama, mais l’ensemble de la séquence est intéressante)

Lire aussi le début de cet article de Thomas Herran, maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles.

Autre point de vue, celui du Syndicat des avocats de France (ASF) qui met en cause l’indépendance du Conseil d’Etat à l’égard du pouvoir exécutif. A lire ici

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