Une ordonnance a -t-elle une valeur législative ? Une décision inédite du conseil constitutionnel

, par Aline Beilin, Valérie Marchand

Le 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a pris une décision QPC qui a pour effet d’octroyer une valeur législative à une ordonnance. Cela met à mal la hiérarchie des normes et suscite un vif débat entre constitutionnalistes. Il en va en effet de l’équilibre des pouvoirs. Le pouvoir exécutif ne se trouve-t-il pas par là renforcé, et le pouvoir législatif par là même affaibli ?

La décision prise concerne un article introduit par voie d’ordonnance à propos de l’installation d’éoliennes dans une ordonnance du 5 aout 2013 (https://www.legifrance.gouv.fr/affi...)

Petit rappel sur la législation par ordonnance.
L’article 38 de la Constitution (https://www.legifrance.gouv.fr/affi...) permet au gouvernement de légiférer par ordonnances, dans des conditions précises en terme de délai notamment, dans le domaine de la loi. Cette "autorisation" demandée au Parlement se nomme une "habilitation législative".
Voir l’explication de la procédure sur le site du Sénat https://www.senat.fr/role/fiche/pro...
Le projet de loi par ordonnances doit fixer un délai d’habilitation et un délai de ratification (par le Parlement). Si les ordonnances ne sont pas ratifiées elles ont une valeur réglementaire et non législative : elles peuvent donc être contestées devant le juge administratif.
La révision constitutionnelle de 2008 a introduit une précision sur le délai de ratification dans l’article 38 : cette ratification doit intervenir "de manière expresse", donc rapidement.
Or c’est sur ce point que la décision du Conseil constitutionnel suscite le débat.

La décision du Conseil constitutionnel (https://www.conseil-constitutionnel...) et le communiqué de presse (https://www.conseil-constitutionnel...) sont disponibles sur le site du Conseil constitutionnel.

Cet article issu du site "Liberté, libertés chéries" souligne le caractère inédit de la décision que le Conseil constitutionnel. http://libertescheries.blogspot.com...

Dans cet article du Blog Droit administratif, Julien Padovani , enseignant chercheur en droit public à l’université d’Aix-Marseille, estime que " le Conseil constitutionnel a été conduit à modifier – alors qu’elle semblait bien établie – la valeur juridique conférée aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, dans le cas où, après le délai d’habilitation, elles n’ont pas fait l’objet d’une ratification. Partant, c’est l’ensemble du régime juridique des ordonnances qui semble être reconfiguré." (lire l’article https://blogdroitadministratif.net/...

Dans un article publié le 12 juin sur le club des juristes, Bertrand Mathieu, Professeur agrégé des facultés de droit, commente ce "revirement brutal et inattendu", explique qu’il est "source d’insécurité juridique pour les justiciables" et qu’il bouscule les rapports entre le gouvernement et le parlement, s’inscrivant "à rebours de la révision constitutionnelle de 2008 qui, dans un contexte visant à revaloriser le Parlement, avait explicitement exclu la possibilité d’une ratification implicite des ordonnances". Par ailleurs, cette décision modifie la répartition des compétences contentieuses entre le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, en transformant la nature des actes concernés. Enfin, l’auteur s’interroge sur les motifs et conséquences d’une telle décision et il émet l’hypothèse que le Conseil constitutionnel aurait souhaité reprendre la main "face au développement du recours à la procédure des ordonnances, notamment dans le cadre de la législation sur l’urgence sanitaire, et au faible nombre de lois de ratification effectivement votées" et ne plus laisser le Conseil d’État en première ligne. Seule "une harmonisation des jurisprudences administratives et constitutionnelles" pourra éviter les désordres engendrés par ce revirement de jurisprudence, conclut l’auteur. Lire l’article : Le Conseil constitutionnel sème le désordre dans le statut des ordonnances non ratifiées

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